Une autre histoire extraite de mon livre "Champagne, les histoires extraordinaires de mon grand-père"... Et si vous croisez un revenant, dites-le moi !... C'est le grand-père qui raconte...

 

 

Vous allez penser que nous sommes entourés de personnes décédées...

Allez savoir !... Le maréchal de l'Air britannique Lord Dowding, qui dirigea avec succès la RAF pendant la Bataille d'Angleterre en 1940 assurait : « Dans une foule de cinq cents personnes, il y a toujours un ou deux morts qui se promènent... »

 

-Mais c'est effrayant ce que tu nous dis là grand-père !...

-Effrayant ? … Pourquoi donc ?... La mort ne fait-elle pas partie de la vie ?... Et puis dans la plupart des cas connus, les morts ne sont revenus sur Terre que pour accomplir une bonne action... Des Anges gardiens... en quelque sorte... Mais écoutez plutôt cette histoire qu'on m'a racontée et qu'on m'a assurée vraie...

 

Elle se déroule à Vitry le François dans la Marne, pendant la dernière guerre. Le débarquement a eu lieu mais l France n'est pas encore entièrement libérée.

En ce 27 juin 1944, l'abbé Jenneret, vicaire à la collégiale Notre Dame, se repose un peu après une journée harassante. Les bombardements de la soirée ont quelque peu perturbé les Vitryats et bien qu'il soit près de minuit, il n'a pas eu le temps de lire son bréviaire.

Il est donc plongé dans cette sainte lecture quand quelques coups frappés à la porte le font sursauter. Qui peut bien venir à cette heure tardive ? Il va ouvrir et se trouve devant une dame habillée de vêtements cossus, ce qui le surprend un peu car les restrictions dues à la guerre ont réduit sensiblement la garde-robe des femmes... Il se rappelle l'avoir rencontrée à l'église il y a quelques années. Mais la paroisse est grande, il ne peut se souvenir du nom de tous les fidèles...

-Monsieur l'abbé, dit-elle d'une voix haletante, venez vite, un jeune homme va mourir...

L'abbé Jenneret n'hésite pas une seconde.

-Je prends le nécessaire pour lui donner l'extrême-onction, et je vous suis.

-Mais... il ne se trouve pas chez moi...

-Eh ben, veuillez noter le nom et l'adresse sur mon agenda.

La dame entre, il la voit mieux. Elle a le visage encore jeune, bien qu'elle semble avoir une quarantaine d'années, mais il est tourmenté. Elle jette rapidement les renseignements demandés sur le calepin. L'abbé lit : Guy Changenot, rue Aristide Briand...

-Rue Aristide Briand... C'est vague...

-C'est facile à trouver : à l'angle de la Place d'Armes et de la rue Aristide Briand, vous avez la Caisse d'épargne... épargnée... (pardonnez-moi ce mauvais jeu de mot...) par les bombes de 1940.

-Je connais, c'est à côté...

-Eh bien, vous avez l'épicerie Bedet-Gidoin et l'hôtel de la Cloche. Le jeune homme en question habite dans la maison restée debout entre ces deux points de repère...

-Vous pouvez compter sur moi, Madame. Ce n'est pas très loin, j'y serai dans moins d' un quart d'heure...

Avant de partir, la dame lui dit :

-Vous êtes bien fatigué, pourtant vous n'avez pas hésité. Que votre charité soit récompensée et que Dieu vous protège au moment du danger...

Puis elle s'en va sur ces paroles énigmatiques... Après avoir pris le nécessaire pour administrer l'extrême-onction, le prêtre sort et se dirige à grands pas vers l'adresse indiquée. Les bombardements de mai 1940 ont laissé des traces et des baraquements ont remplacé les maisons dans bien des cas.

Le voilà rue Aristide Briand et cherche l'endroit indiqué. Il n'a aucun mal à le trouver. Il entre une sorte de hall et peut lire effectivement sur une boîte à lettres le nom qui lui a été donné. Il se rend devant la porte et frappe ; un jeune homme vient lui ouvrir, très surpris de voir un prêtre, surtout à cette heure tardive.

-Bonsoir M. l'abbé, fait-il poliment. Que désirez-vous ?

-Je viens pour un malade... un mourant...

Il sort son calepin et lit :

-Guy Changenot...

-C'est moi... et vous pouvez constater que je n'ai rien d'un malade... encore moins d'un mourant... Vous devez vous tromper...

-Pourtant... Une dame est venue il y a un quart d'heure, et m'a donné votre nom et votre adresse, me disant que c'était urgent... Tenez, lisez vous-même...

Le jeune homme regarde le calepin et dit :

-C'est bizarre... Il me semble que je reconnais cette écriture... Connaissez-vous cette dame ?

-C'est une paroissienne qui venait à la messe il y a quelques années ; mais c'était avant la guerre et depuis, je ne l'ai plus revue...

-Pouvez-vous me la décrire ?

-Ce n'est guère facile... elle paraissait âgée d'une quarantaine d'année, et était habillée comme les femmes l'étaient avant la guerre... Ce détail m'a surpris. Elle semblait extrêmement émue.

-Justement, dans son trouble, elle a pu se tromper... Mais je manque à tous mes devoirs, je vous reçois dehors... De plus, vous paraissez très fatigué. Voulez-vous entrer un moment et vous reposer avant de repartir ?

L'abbé est tellement épuisé qu'il accepte cette aimable invitation, il entre et s'assoit. Regardant plus attentivement son hôte, il lui dit soudain :

-Il me semble vous reconnaître... N'êtes-vous pas venu au catéchisme autrefois ?

-C'est vrai, mais il y a longtemps de cela...

-Et vous avez arrêté votre pratique ?

-Disons que cela ne s'est pas fait d'un seul coup... Vous savez ce que c'est... on n'assiste pas à une messe pour ce qu'on croit être une bonne raison, puis deux, trois... et un jour on ne va plus du tout à l'église.

-Je ne vois pas ce que c'est... comme vous dites... mais je comprends... Et... regrettez-vous votre comportement ?

-Il m'arrive de le regretter parfois, c'est vrai.

A ce moment de la conversation, l'abbé devine qu'il ne serait pas très difficile de ramener cette brebis égarée dans la maison du Père... C'est son rôle, sa mission. En quelques minutes, il prononce les paroles qu'il faut. Le jeune homme écoute avec une grande attention. Il parle de sa mère qui est morte en 1939 un peu avant la guerre. Puis, il déclare soudain qu'il désire se confesser. Ce qui est fait.

Après que le prêtre lui ait donné l'absolution, il le remercie chaleureusement :

-C'est le ciel qui vous a envoyé...

(Il ne croyait pas si bien dire...)

L'abbé le laissa en paix avec Dieu et réconcilié, si tant est qu'il avait été fâché... avec l'Église. Il était près de deux heures du matin quand il sortit pour rentrer au presbytère. Soudain, les sirènes se mirent encore à hurler. L'abbé pressa le pas, mais un nouveau bombardement commença et il n'eut que le temps que de se précipiter dans un abri.

Pendant près d'une longue demi heure, il entendit le fracas des bombes. Puis, les forteresses volantes s'éloignèrent : c'était fini. Il sortit et découvrit un spectacle de désolation. Partout c'étaient des cris, dans un nuage de fumée et de poussière. Il se rendit au poste de secours voisin afin de prodiguer les secours de la religion à ceux qui en auraient besoin. On avait aligné les morts et il en arrivait de nouveaux. Pour ceux-là, l'abbé ne pouvait plus rien faire. Cependant il ne put s'empêcher de les bénir.

Soudain, parmi les corps que les secouristes amenaient, il reconnut le jeune homme qu'il venait de quitter... ce jeune homme qui disait qu'il n'avait rien d'un mourant... et qui se trouvait pourtant au bout de sa courte vie bien qu'il n'en sût rien...

Il se penche sur lui, fouille sa veste et trouve une carte d'identité au nom de Guy Changenot, né en 1923... ainsi qu'une lettre et des photos ; l'une d'elles représente une femme qu'il reconnaît tout de suite : c'est la dame qui est venue lui demander de se rendre rue Aristide Briand où quelqu'un était en danger de mort...

Au dos de la photo, ce simple mot : « maman »... Il déplie la lettre et la lit : l'écriture est exactement la même que celle qui se trouve sur son agenda...

 

-Brrr... Et tu crois que nous allons dormir après cette histoire ?

-Mais elle n'a rien d'inquiétant... au contraire... Cela montre qu'il y a un « après »... ce qui est plutôt rassurant...

 

N'est-ce pas aussi votre avis ? ? ?

 

Je vous laisse sur cette pensée profonde... Allez, à plus !

 

 

 

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