La famille Lestingois passait ses vacances au bord de la mer. Cette année-là, ils avaient décidé de camper. Ils verraient ainsi la nature de plus près que d’une chambre d’hôtel. Ils firent donc l’acquisition d’une belle tente et s’en allèrent la planter au terrain de camping de Luc sur Mer dans le Calvados. Le temps était beau, comme souvent en cette région. Et si certaines mauvaises langues prétendent qu’il y fait froid, c’est qu’ils n’y ont jamais mis les pieds…..

La famille comprenait quatre personnes, les parents et deux enfants d’une douzaine d’années. Ah ! J’oubliais Kalou !…..C’était un chat persan superbe, au regard….perçant et à la face camuse, comme tous ses frères……Une belle bête en vérité, dont les enfants et les parents raffolaient. Ils le considéraient presque comme un être humain. Ils lui parlaient, et assuraient que le chat les comprenait. Ils regrettaient seulement que l’animal ne fût pas doué de parole……

Bref, ce chat était si extraordinaire qu’ils avaient décidé de l’appeler Monsieur Kalou ! Mais, pour qu’il n’y eût pas de confusion possible avec un éventuel Monsieur Kalou à deux pattes, ils faisaient suivre cette appellation….contrôlée du mot chat. Ainsi, il ne devrait y avoir aucune méprise.

C’est ainsi que notre brave persan était devenu Monsieur Kalou, chat !

La famille Lestingois coulait des jours heureux dans ce camping, passant son temps entre les plaisirs de la plage et ceux du farniente sur des chaises longues. Le chat ne les quittait pas, et venait se coucher au pied de ses maîtres, laissant glisser son regard à travers la fente allongée de ses yeux entr’ouverts.

Un matin, on ne trouva pas le chat. Il a dû aller faire un tour dans le camping, il va revenir ! pensa-t-on. Mais le temps passait, le chat ne revenait toujours pas.

Où pouvait-il bien être ? Les membres de la famille passèrent de l’inquiétude à l’anxiété, puis à l’angoisse. L’idée qu’il avait pu sortir du camping et se faire écraser traversa soudain leur esprit. Il fallait se mettre à sa recherche !

Les voilà donc partis par tout le camping, lançant des « Monsieur Kalou, chat » ! à tous les échos. Dans toutes les allées, résonnait leur appel : «  Monsieur Kalou, chat » !….. « Monsieur Kalou, chat » !…..

Bientôt, tout le camping fut en état d’alerte. On avait expliqué la disparition du chat au regard persan (ben oui, quoi ! on peut rire un peu, non ?…..)….C’est ainsi que presque tout le monde se trouvait dehors à chercher l’animal. Certains faisaient « bsss, bsss »….en se penchant pour voir s’il n’était pas caché sous une caravane. Mais la plupart criaient comme les autres « Monsieur Kalou, chat » !….

L’agitation était à son comble. Le terrain de camping tout entier retentissait de ces appels perçants.

Soudain, un petit bonhomme ébouriffé sortit d’une tente et demanda d’un air ahuri :

- « Quelqu’un me demande ?……

- Mais non ! répondit Madame Lestingois. Nous cherchons notre chat.

- Votre chat ?…..fit le bonhomme surpris. Et….il porte mon nom ?….

- Comment cela, votre nom !…..Pas du tout. Il s’appelle Monsieur Kalou, chat ! dit-elle en haussant les épaules.

Son chat porter le nom de cet individu !…..Comme c’est grotesque !

- Justement !…..reprit le petit homme…..C’est que je m’appelle aussi ….Monsieur Calouchat !…..

- Monsieur Kalou, chat !……répondit en écho Madame Lestingois.

Un attroupement s’était formé autour d’eux. Certains ne pouvaient retenir leur jubilation devant une telle situation.

- Par exemple ! fit quelqu’un, voilà quelque chose de pas banal ! Porter le même nom qu’un chat !….

- Oui, crut bon de préciser le bonhomme, mais je suppose que nos deux noms, bien qu’ils s’énoncent de la même façon, n’ont pas la même orthographe. C’est ce qu’on appelle des homophones….Il serait quand même aberrant que je portasse le même nom qu’un chat !…..

Le petit homme était professeur de français.

Madame Lestingois resta un moment sans voix. Puis, après avoir contrôlé les orthographes respectives des deux animaux….je veux dire des deux personnages, elle dut se rendre à l’évidence : cet individu n’était pas son chat !

Rassurée par cette certitude l’espace d’un instant, elle fut reprise de ce désarroi éprouvé par la disparition de l’animal.

Où pouvait-il bien être ?…..

C’est alors qu’un gamin en short arriva en courant et cria :

- C’est-ti vous qu’avez perdu vot’ chat ?…..

- Oui, c’est nous !…..répondit Madame Lestingois avec un tremblement dans la voix.

- Eh ben…..Vot’ chat, j’cré ben qu’j’en ai vu un, et un biau, qui s’prom’nait du côté des poubelles !…..

A n’en pas douter, cet enfant était Normand……

- Du côté des poubelles !……s’étrangla Madame Lestingois…..Je lui avais pourtant dit de ne pas manger n’importe quoi !…..

Devant l’air ahuri des gens attroupés, elle rectifia :

- Je veux dire bien sûr que nous lui donnons suffisamment de nourriture de qualité pour qu’il n’aille pas manger des tas de saletés dans des poubelles !

Monsieur Kalou, chat, enfoncé jusqu’à mi corps, se pourléchait effectivement les babines dans une poubelle odorante. Monsieur Lestingois l’en extirpa par la peau du cou et le tint à bout de bras, se bouchant les narines pour ne pas sentir ces odeurs ignobles. Il l’amena à la tente où il fut plongé (le chat, pas Monsieur Lestingois….) dans une bassine d’eau chaude afin de dissiper les parfums de sardines frites qui le suivaient.

C’est depuis ce temps-là que le chat se cachait sous un meuble dès qu’il apercevait une bassine d’eau. Chat échaudé ne craint-il pas l’eau froide ?….

La vie reprit son cours. Monsieur Kalou, chat fut surveillé plus étroitement et lorsqu’on l’appelait, on chuchotait son nom afin de ne pas perturber notre professeur de français. Vous savez, l’homophone…..

C’est qu’il ne s’agissait pas de lui faire croire que quelqu’un le cherchait encore !……

(A plus...)

Retour à l'accueil