Tout le monde connaît Arsène Lupin. Mais son créateur, Maurice Leblanc ?... Moins certainement...

Alors, le voici... Texte paru dans l'almanach du Normand il y a quelques années...

 

 

Arsène Lupin est né (en librairie) en 1907, à l’âge d’une trentaine d’années, qu’il gardera toute sa vie. Qui ne connaît pas les aventures de notre voleur national, le gentleman cambrioleur, qui ne volait que les riches et savait mettre les rieurs de son côté ? Son père, enfin celui qui a écrit ses aventures, est certes moins illustre : il s’agit de Maurice Leblanc, connu auparavant comme journaliste.

Maurice Leblanc est né en 1864 rue de Fontenelle à Rouen dans une famille d’armateurs. Il faillit périr dans l’incendie qui ravagea la maison paternelle en 1868 : on l’arracha de justesse aux flammes. L’aventure, déjà, sonnait à sa porte…….

La malheureuse guerre de 1870 et son cortège de malheurs incita son père à l’éloigner par prudence. Il fit prendre au jeune Maurice l’un de ses bateaux qui l’amena dans un endroit où les Prussiens ne risquaient pas de venir : l’Ecosse.

Un an plus tard, la paix revenue, Maurice retrouva Rouen, la pension Patry et le lycée Corneille. Il y obtint d’excellents résultats, sans forcer son talent, car notre lycéen était brillant élève, doué d’une imagination non moins brillante.

Le samedi et le dimanche étaient souvent réservés à la promenade. Il partait en "deux chevaux" (une voiture emportée par deux chevaux …..et un cocher) à la découverte du Pays de Caux tout proche. C’est au cours d’une de ces balades qu’il remarqua un endroit dont il allait se souvenir plus tard : l’Aiguille creuse qui sera d’ailleurs le titre d’une des aventures de son héros Arsène Lupin.

Il prenait également, avec ses parents, « un extraordinaire bateau vert qu’on appelait "l’Union" ». La famille se rendait sans sa propriété de Croisset, tout près de Rouen. Il arrivait que la bateau poussât jusqu’à La Bouille, deux heures de navigation qui paraissaient une éternité au jeune Maurice.

A Croisset, il fit la connaissance d’un personnage haut en couleur, qui n’avait pas son pareil pour raconter des histoires : Gustave Flaubert. Le père de Flaubert était médecin et avait accouché sa mère. Il connaîtra également Guy de Maupassant. Ces deux grand écrivains normands auront une grande et heureuse influence sur son œuvre.

Pour le moment, Maurice Leblanc entra dans l’industrie, à la fabrique de cardes Miroude-Pichard. Il est amusant de noter qu’il ne sut jamais ce qu’étaient des cardes…….Cela ne l’intéressait d’ailleurs pas le moins du monde. D’autres s’en chargeaient bien, lui écrivait avec un bonheur qu’il ne cachait pas. « L’usine avec son fracas s’évanouissait. Le petit peuple des ouvriers se dissipait comme de vains fantômes. J’étais heureux….J’écrivais. »……Précisons pour ne pas vous laisser sur votre faim…..que des cardes sont des machines destinées au cardage dans les filatures (laine ou coton), comme il en existait en Normandie. Rien à voir avec la feuille de cardon ou de bette…….

Mais il ne suffit pas d’écrire pour devenir écrivain !…..Il faut peut-être une recommandation, et sûrement du talent…..Le talent, il n’en manquait pas. Quant au reste……

Justement. Flaubert était mort et on inaugurait un médaillon du grand écrivain normand square Solferino. Maurice s’y rendit. Il y rencontra des gloires littéraires de l’époque : Edmond de Goncourt, Emile Zola, Guy de Maupassant, Octave Mirbeau. C’est vraisemblablement parce qu’il connaissait Maupassant que les écrivains acceptèrent la compagnie du jeune homme au dîner. Puis, il prit le train avec ceux qui rentraient à Paris.

Il leur parla du Flaubert qu’il avait connu, et nos maîtres écoutaient ce jeunot qui en savait plus qu’eux sur le "père" de Madame Bovary. Encouragé par tant d’intérêt, il se risqua à demander à ces sommités littéraires un petit coup de pouce pour débuter dans la profession. Hélas ! Goncourt devait être très fatigué car il réclama un peu de calme pour qu’il puisse dormir. « Tous ces trucs d’inauguration me fichent par terre !…..Je dors ! » Pas de chance cette fois-ci !

Mais sa décision était prise. Il annonça à son père qu’il ne se voyait pas finir sa vie dans les cardes……Le voici donc à Paris pour faire son droit (pieux mensonge….) et rejoindre sa sœur, la tragédienne Georgette Leblanc, compagne, interprète, inspiratrice de Maurice Maeterlinck. Là, assez loin de la Faculté, Leblanc joue au dandy " qui lance en 1900 la mode de 1835" (Georgette Leblanc dans ses Mémoires).

Mais ces idées d’arrière-garde ne l’empêchèrent pas de devenir journaliste et d’écrire des chroniques au journal "Gil Blas", au "Figaro", à "Comœdia". Parallèlement à cela, il publia quelques romans, aujourd’hui oubliés : "Une Femme", "L’œuvre de mort", "Les Lèvres Jointes". Le succès ne vint pas. Il écrivit aussi une pièce jouée chez Antoine : "l’Enthousiasme".

Mais sa chance se présenta un jour sous la forme de Pierre Laffitte, grand éditeur, qui sortait un nouveau magazine : "Je sais tout". Il proposa à Leblanc d’écrire une histoire policière, quelque chose qui serait le pendant français de Sherlock Holmes en Angleterre. C’est ainsi que naquit Arsène Lopin……

En effet, Leblanc avait choisi le nom d’un conseiller municipal parisien empêtré dans des histoires avec l’Administration. Devant les protestations du sieur Lopin, Leblanc changea une lettre pour créer le personnage d’Arsène Lupin, promis à un bel avenir.

C’est ainsi qu’en 1907, sortit la première aventure du gentleman cambrioleur, justement sous le titre d’"Arsène Lupin, gentleman cambrioleur". Le succès sera immédiat. Suivront une cinquantaine d’autres livres qu’il est inutile de rappeler car ils sont toujours édités. On ne peut en dire autant de tous les auteurs de cette époque…..

Lupin, c’est un anti-Sherlock Holmes. Non parce qu’il se mesura avec succès au célèbre détective anglais ("Arsène Lupin contre Herlock Sholmes"). Il ne scrute pas les empreintes de pas, les cendres de cigarettes. Il est aussi gai que Holmes est compassé. Son impertinence, sa façon de ridiculiser la police en la personne de l’inspecteur Ganimard, son succès auprès des femmes, l’aide qu’il porte aux faibles face aux puissants, le rendent sympathique aux Français et font de lui "le Robin des Bois de la Belle Epoque".

Maurice Leblanc est mort à Perpignan en 1941, la même année que sa sœur pourtant plus jeune que lui. Arsène Lupin, lui, est toujours vivant !

Gérard Nédellec

A plus... évidemment...

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