Paru dans l'almanach du Breton il y a quelques années...


Elles sont fort nombreuses en Bretagne et procèdent de la poésie chantée en langue bretonne, littérature d’abord orale puis écrite, puisqu’elles sont parvenues jusqu’à nous.

Nous allons nous intéresser à la légende de sainte Azénor (en breton Enori), appelée par certains auteurs "la femme au sein d’or". Mais n’anticipons pas…..C’était la fille du roi de Brest. Je sais qu’il n’y a jamais eu de roi à Brest, mais la tradition en parle dès le XIIIè siècle.

La vie de sainte Azénor et de son fils Budoc a été racontée dans la Chronique de Saint-Brieuc, texte latin dont deux copies du XVè siècle se trouvent actuellement détenues sous les N° 6003 et 9888, dans le Fonds latin de la Bibliothèque Nationale. La traduction de 1866 est due à A. de Barthélémy. Ces précisions données, résumons cette légende.

Azénor, fille du roi de Brest, voulait vouer sa vie à Dieu. Le jeune roi de Goëlo la demanda en mariage à son père. Sur les instances de sa mère, elle accepta finalement de rompre son vœu, épousa le roi et accompagna son mari. en Goëlo après le mariage.

Peu après sa mère mourut et son père se remaria. Lors d’une chasse en forêt, le roi fut attaqué par un grand serpent qui s’accrocha à son bras. Dans l’impossibilité de s’en défaire, le roi voyait sa santé décliner, sa vie le quitter peu à peu. Prévenue, Azénor revint près de son père. Mais rien ne pouvait détacher le reptile du bras du roi. Un vieux magistrat lui dit alors : « Oins ton sein d’huile d’olive et de lait de brebis et présente-le au serpent : il sautera du bras de ton père sur ton sein. Coupe-le alors et jette-le dans le feu avec le serpent. »

Ce qui fut dit fut fait. Mais Azénor eut peur qu’à son retour, son époux n’accepte pas une femme infirme. Elle pria Dieu qui remplaça son sein mutilé par un sein d’or et de pierreries "qui brillait comme un flambeau". Elle rentra chez elle retrouva son mari avec plaisir. Son père lui était très reconnaissant, mais sa belle-mère devint très jalouse. Elle décida donc de la perdre.

Profitant de la venue du roi de Goëlo, elle lui annonça que sa femme le trompait avec un clerc, ce que personne n’ignorait. La meilleure preuve, c’était ce fameux sein d’or qui brillait dans la nuit. Le jeune roi inquiet revint chez lui et aperçut en effet le sein d’or qui luisait dans la chambre de sa femme. Croyant en sa culpabilité, il revint à Brest pour s’en remettre à la décision du roi son beau-père, sans lui révéler de qui il s’agissait. Quel sort réserverait-il à une reine qui tromperait son mari ? Le roi n’hésita pas : la mort par le feu. Lorsqu’il apprit que la reine coupable était sa propre fille, il fut consterné mais ne put se dédire.

Le date du supplice fut arrêtée. Mais Azénor annonça devant tous qu’elle était innocente, qui plus est enceinte. Elle réclama un délai à l’exécution afin que l’enfant naisse et soit baptisé. Le vieux magistrat conseiller intervint alors et proposa d’enfermer la future mère dans un tonneau étanche, de le jeter à la mer et de s’en remettre à la volonté des flots et de Dieu.

Pendant cinq mois, le tonneau vogua sur la mer. Azénor priait sainte Brigitte. Elle l’aida à mettre au monde un fils qui se mit à converser immédiatement avec sa mère. Le tonneau toucha terre en Irlande près d’un lieu appelé Beauport. Comme un pêcheur voulait l’ouvrir, l’enfant de l’intérieur l’en dissuada, le priant plutôt d’aller chercher un prêtre afin qu’il le baptise. On lui donna le nom de Budoc et les deux naufragés furent accueillis par les moines de l’abbaye du lieu.

Mais le roi de Goëlo était rongé par le remords d’avoir trop vite condamné sa femme. Il chercha partout en Bretagne, traversa la Manche et accosta en Irlande. Pendant ce temps, Budoc, devinant la venue prochaine de son père, l’avait annoncée à sa mère. Bientôt la famille était reconstituée. Hélas ! Après avoir confessé ses péchés, le roi de Goëlo mourut, suivi par sa femme.

Voilà la légende. Et l’on passe bien évidemment sur les invraisemblances : dans les légendes, tout est permis !

Outre ce texte, il existait également dans la tradition orale poétique bretonne, une longue gwerz : "Santez Enori". On le savait grâce aux recherches d’érudits du siècle passé, de Kerdanet, Luzel et Anatole Le Braz. Cette gwerz ressemble assez à la légende de sainte Azénor telle que je l’ai résumée. Si le fond est semblable, certains détails diffèrent : le roi de Brest a trois filles, c’est la belle-mère qui dénonce sa bru à son fils…..

Mais il existe encore d’autres textes s’inspirant de la même histoire de la jeune fille qui libère le héros de la pression fatale d’un serpent, perdant son sein de chair mais gagnant un sein d’or.

Citons d’abord "Le livre de Caradoc Briebras", contenu dans la première "Continuation" de Perceval, de Chrétien de Troyes, datant du XIIIè siècle. Il s’agit ici du roi Caradoc de Vannes qui épouse Isaure de Carhaix. Mais l’ensemble est assez complexe pour ne pas dire compliqué. Il est fait mention ici de la corne dans laquelle seul peut boire sans en renverser une goutte un homme dont la femme est fidèle.

On retrouve dans la tradition galloise le même type d’histoire, où la fidélité de la femme est attestée par un manteau magique.

Deux autres contes gaéliques s’inspirent du même sujet. Mais sans doute sont-ils antérieurs car on y rencontre des différences assez sensibles. Le prince reçoit de sa marâtre une chemise magique qui se transforme en serpent. On ne peut s’empêcher de penser à la tunique de Nessus responsable de la mort d’Héraclès, ce qui montre s’il en était besoin que les légendes d’où qu’elles viennent ont une origine commune.

Parmi ces diverses légendes, les deux premières qui sont plus typiquement bretonnes, sont intéressantes quant au but qu’elles recherchent, ou du moins qu’on peut raisonnablement penser qu’elles recherchent. Il s’agit dans les deux cas de l’histoire de sainte Azénor, appelée aussi Eneri. On peut penser que les hagiographes bretons du Moyen Age ont voulu asseoir la légitimité de leurs saints fondateurs sur des faits merveilleux, sacrés, féeriques, voire miraculeux.

D’autre part, si le premier texte en latin est l’œuvre d’un auteur instruit, le second, la gwerz, est surtout un chant narratif propagé par voie orale pendant des siècles. Mais il semble acquis que l’un comme l’autre procèdent d’un substrat narratif oral fort riche, puisqu’il a pu inspirer tout au long des siècles des œuvres aussi diverses que celles signalées, retrouvées dans divers pays du monde celtique.

Gérard Nédellec

(sources : "Etudes sur la Bretagne et les pays celtiques", Mélanges offerts à Yves Le Gallo, Centre de recherche Bretonne et Celtique, Brest. Yves Le Gallo a été mon prof en classe de propédeutique à Brest il y a... quelques années...)

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