On croit généralement que les bandes dessinées (plus couramment appelées BD…..) sont d’origine récente. Si l’expression est effectivement moderne, elles existent depuis fort longtemps. Une représentation imagée est en effet un moyen efficace pour faire passer un message ou un enseignement.

C’est ce qu’a dû penser Michel Le Nobletz, missionnaire breton du XVIIè siècle. A cette époque, face à une population bien souvent illettrée, un bon dessin valait mieux qu’un long discours. C’est d’ailleurs toujours vrai !……

Michel Le Nobletz a parcouru la partie occidentale de la Bretagne durant la première moitié du XVIIè siècle. Pour illustrer son enseignement et le rendre plus vivant, donc plus efficace, il a imaginé de dessiner des scènes de l’Ancien et du Nouveau testament. En prêtre respectueux de l’autorité, qu’elle soit civile ou religieuse, il a œuvré pour l’obéissance aux lois en se servant de la parabole fameuse où Jésus demande de rendre "à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu". Il s’agissait de faire de bons chrétiens et de loyaux sujets du roi Louis treizième du nom.

Quel support a utilisé Le Nobletz pour dessiner ses fameuses "Taolennoù ar Baradoz" ? (qu’on peut traduire par les cartes, ou les chemins du Paradis)

Ces documents ont été peints sur des peaux de moutons qu’on s’est contenté de sécher. Il ne s’agit donc pas de parchemins car ces derniers subissent une préparation qui a manqué aux taolennoù. Conséquence fâcheuse de ce manque de finition, ces cartes étaient plutôt rigides, sans aucune souplesse, ce qui de nos jours en accentue la fragilité.

Actuellement les quatorze documents qui subsistent (douze cartes différentes et deux en double) sont conservées aux archives diocésaines de Quimper. Mais on peut raisonnablement penser que Le Nobletz en a réalisé (ou fait réaliser) une centaine, peut-être plus.

La peau de mouton sur laquelle elle était dessinée donne une idée de la taille : de 50 à 60 centimètres sur 80 à 90. De plus, le dessin était peint tantôt dans le sens de la hauteur (c’est le cas le plus fréquent, l’encolure de l’animal se reconnaissant facilement dans le haut), tantôt dans l’autre sens. Encore faut-il ajouter que chaque pièce représentait plusieurs scènes différentes, ce qui donne des images d’environ 15 centimètres de côté, parfois seulement 3 ou 4 centimètres. C’est petit.

Quelle était donc l’utilisation que Le Nobletz en faisait ? Il est pratiquement acquis qu’il les a utilisés comme tableaux de mission, destinés à être présentés à un nombre important de fidèles, du moins au début de son ministère, notamment à Landerneau en 1613. Mais il s’est vite rendu compte que la petite taille des dessins limitait l’auditoire. Il a donc réservé ces cartes à une utilisation en petits groupes. Son héritier spirituel, le Père Julien Maunoir, n’a pas fait autre chose.

Une autre question se pose : qui est l’auteur de ces dessins ? Il est certain que Le Nobletz a lui-même mis la main à la plume. C’est normal. On n’est jamais si bien servi que par soi-même ! Un dessin, figurant parmi ceux conservés, montre qu’il avait comme ont dit maintenant "un bon coup de crayon" !

 

Mais il paraît tout aussi évident qu’il ne peut être l’auteur de la centaine de cartes supposées réalisées, d’autant plus qu’il y avait des copies, suffisamment différentes dans le dessin, pour avancer qu’il existait d’autres dessinateurs, ou copistes. Ce qui est pratiquement acquis maintenant, c’est que les exigences de Le Nobletz étaient réelles dans les domaines du dessin proprement dit et de la matière à illustrer. La forme et le fond, pour lesquels il exigeait une grande rigueur et la stricte observance de ses instructions. Les autres peintres n’ont pu que s’y conformer.

Combien étaient-ils ? On l’ignore. On n’en connaît que deux. Alain Lestobec, employé du fisc au Conquet et Françoise Troadec, de la même ville.

Le premier a dessiné quatre cartes, en 1632 et 1636. La seconde en a réalisé trois (ou a aidé à les réaliser d’un point de vue technique). Cartographe autant que peintre, elle a contribué à rendre ces cartes aussi fidèles que possible à la réalité, notamment dans la représentation du monde, de l’Europe et du Proche-Orient. Mais il est certain que tous les copistes n’avaient pas cette compétence !…..

Le Nobletz s’est attaché à présenter ses cartes en commençant par les plus simples pour terminer par les plus complexes. Nul souci de rationalité dans sa manière de les présenter et s’il leur a attribué des lettres A, B, C…..c’est surtout pour lui permettre de s’y retrouver, lui.

On peut néanmoins dégager quatre grandes catégories.

Les cartes d’initiation

Il n’en reste qu’une, les "Lois" présentant l’Ancien et le Nouveau Testament.

Les cartes de catéchisme ou d’exemple

Le monde court à sa perte. Il s’agit d’y remédier. Sodome et Gomorrhe représentent la perdition. A l’opposé, l’ensemble du (bon) clergé est le meilleur antidote. (carte appelée "Babylone")

Viennent ensuite Adam et le péché originel, Noé et son arche. (carte les "Quatre monarchies")

Les cartes du "Pater" et des "Six cités du refuge" veulent délivrer un enseignement plus formel. Si le sens de la première est assez clair , la seconde énumère les armes spirituelles que le chrétien a à sa disposition : baptême, pénitence etc…..

D’autres cartes développent des thèmes aussi divers que les péchés capitaux et une histoire de l’âme.

Les cartes itinéraires

On aura compris. Deux voies s’offrent à chacun : celle du salut (étroite, difficile), celle de la facilité et de la perdition (un boulevard !….)

Les cartes spécialisées

Il n’en reste pas mais on sait qu’elles ont existé. Elles proposaient des réponses concrètes à des circonstances particulières.

 

Ces cartes peuvent prêter à sourire maintenant. Il n’empêche qu’il s’agit là d’un premier essai (transformé !…) de pédagogie par l’image, comme on en réalisera bien plus tard. Le Nobletz sort du cadre étroit de la représentation figée que constituaient les vitraux et calvaires, en proposant un outil certes primitif, mais dans lequel on devine l’innovation. Le Père Julien Maunoir saura continuer son œuvre.

 

Texte écrit pour l'almanach du Breton voici quelques années. Il vous montre que nous n'avons rien inventé... et que nos anciens étaient aussi ingénieux que nous...

(A suivre... bien sûr !)

 

 

 

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