Ce texte est paru dans l'almanach du Breton voici quelques années. Il est à comparer avec celui d'hier sur le rôle du breton dans la langue française...

 

 

 

N’allez surtout pas imaginer une seconde que l’on menait autrefois les vaches dans les écoles bretonnes ! Non, bien que nombre de petits paotr-saout aient beaucoup appris en gardant les vaches au champ ! (voir du même auteur "A la veillée en Bretagne") Mais il ne s’agit pas de la même école. Je veux parler ici de la vache que l’on trouvait, voici quelques décennies, dans l’école de la République.

Allons bon ! Expliquez-nous cela ! J’y viens !

Voici donc plusieurs dizaines d’années, quelle langue entendaient les jeunes Bretons dès leur plus jeune âge, parlée par leur mère, père, frères ou sœurs ? Le breton bien sûr ! Les premiers mots affectueux de la maman qui berçait son enfant, étaient prononcés en breton. On ne parlait que cette langue dans les fermes. D’ailleurs, nombreux étaient ceux qui ne parlaient ni ne comprenaient le français.

En grandissant, l’enfant apprenait le breton sur les genoux de sa mère, tandis qu’elle lui narrait de belles histoires. Le soir à la veillée, il entendait un conteur raconter des légendes merveilleuses, ou des aventures plus récentes et amusantes. Avant de dormir, on lisait la vie des saints et on récitait la prière. Toujours en breton.

Monsieur le Recteur lui, apprenait le catéchisme : en breton bien évidemment ! A la messe, on chantait, on priait en breton. Le sermon du recteur était donné dans la même langue, la seule que tous connussent. Toute sa jeune existence était baignée par une seule langue, sa langue maternelle.

Elle lui avait ouvert le cœur et l’esprit, lui avait appris ses richesses les plus rares. Par son intermédiaire, on lui avait montré les biens les plus précieux de la vie qui feront de lui un homme de devoir et de traditions.

Et voilà que dès six ans, âge où il devait fréquenter l’école de la République, il lui était formellement interdit de parler en breton ! Il devait impérativement parler en français ! Mais le pauvre ne connaissait pas le français ! Comment voulez-vous qu’il réponde, dès la rentrée, aux questions de l’instituteur dont il ne comprenait pas un traître mot ?

Voilà donc notre garçon devant le maître. C’est souvent un bretonnant…..qui est payé pour traquer sa langue maternelle ! Mais parfois, il ne sait pas plus le breton que le gamin ne connaît le français ! Mais il représente l’autorité. Le pauvre gars reste bouche ouverte, muet comme une carpe. Et s’il lui prend par hasard l’idée de répondre poliment en breton, qu’il ne parle pas le français, il est puni !

Attention ! C’est ici que la vache fait son apparition ! Vous ne la voyez pas encore, mais elle pointe le bout de sa corne……

Alors, comme il faut mater de tels rebelles, le maître donne à celui qui parle le français un objet matériel quelconque : pièce percée de deux sous, morceau de bois, galet de mer, etc….Pour tous, c’est "la vache", appelée aussi "symbole". Symbole de l’ignorance sans doute….ou de l’absurdité. Cela se passe ainsi dans le Léon. Pierre Jakez Hélias en parle aussi dans son "Cheval d’orgueil". Si le symbole est différent, l’idée est identique. Le coupable ( !) doit le porter autour du cou au bout d’une ficelle.

Celui qui l’a est comme entravé par ce morceau qui pendouille à son cou. Interdiction de jouer avec les autres à la récréation. On lui enlève le droit d’être insouciant comme un enfant normal. Car en fait de soucis, il en a un majeur : trouver un camarade qui s’oubliera à parler en breton pour lui refiler la vache. L’école leur apprend la dénonciation, à moins que ce ne soit l’opportunisme……

-« Tu as parlé breton ! Pris !

-Mais je……

-Taratata ! Je t’ai entendu. Tiens ! La voilà !

Et la vache change d’étable, enfin de poche. Celui qui la possède le soir reçoit la punition. En rentrant à la maison, il fallait avouer, l’air penaud :

-J’ai….J’ai attrapé la vache….

-Ah !……Et elle est restée avec toi ?

-Non, elle est restée à l’école. Mais demain matin, je la retrouverai car je n’ai pas pu attraper un autre camarade.

Et les parents se sentaient aussi coupables que leur fils, alors qu’ils auraient dû l’encourager à maintenir sa langue maternelle.

Mais un tel comportement était impensable à l’époque. On se soumettait. (C’est pourquoi maintenant, on ne se soumet ….moins…..). Alors le père, pour faire bonne mesure, ajoutait sa punition personnelle : une bonne raclée et un bon sermon…..en breton !

Cette maudite vache risquait en outre de semer la dissension entre les enfants. C’était le sujet de conversation favori. Chercher à s’en défaire monopolisait des énergies qui auraient été bien plus utiles ailleurs ! D’autant plus que le soir en retrouvant son foyer, l’enfant retrouvait également le breton que tous parlaient, sans vache……Il y avait de quoi perdre son latin …..enfin, son breton !

Mais vous savez que les enfants sont malins. Cela ne date pas d’hier. Puisque la vache devait se trouver dans la poche d’un enfant, privé de la sorte des joies de la récréation, pourquoi pas choisir quelqu’un à qui une entorse, une blessure, interdise les jeux sur la cour ? Ou bien tout simplement un pantouflard préférant la solitude d’un coin de cour aux galopades enfiévrées ! Bref un volontaire qui devenait le gardien consentant de la vache ……Il devait par contre faire semblant de chercher un autre pour lui transmettre le flambeau...

Le soir, il fallait rendre la vache à l’instituteur en expliquant qu’on n’avait attrapé personne. Alors là , attention ! Il ne fallait pas que ce soit le même volontaire éclopé qui rende cet objet chaque soir ! Cela lui aurait paru suspect. Il aurait senti la combine, nous dirions maintenant la magouille... L’instituteur aurait surveillé la chose de plus près.

Jouer intelligemment "de la vache" requérait donc des qualités d’organisation….

Et maintenant, on apprend le breton dans les écoles, sans que le français ne se sente diminué. C’est quand même mieux, non ?…

GN

(A plus...)

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