La légion d’honneur est de nos jours une décoration très répandue (trop peut-être, mais ce n’est pas notre propos….). Si actuellement de nombreuses femmes peuvent arborer au revers de leur manteau ce petit ruban rouge, récompense de leurs mérites ou leur talent, il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant de nombreuses années, cette prestigieuse décoration a été réservée aux hommes. Sans doute parce qu’on pensait que le talent (comme le rire) était le propre de l’homme…..

La Révolution de 1789 a supprimé les décorations (et bien d’autres choses….). On donnait aux braves qui s’étaient distingués un "fusil d’honneur". Mais lorsqu’il est arrivé au pouvoir, Bonaparte a senti que cela ne suffisait pas et qu’il fallait créer une nouvelle décoration. C’est ainsi que le 29 floréal an X (19 mai 1802) il organisa une Légion d’honneur divisée en cohortes et destinée à récompenser les services et les vertus des militaires mais aussi des civils. La première promotion date du 24 septembre 1803. Des hommes, bien sûr….

Certains avancent que Napoléon 1erdécorera trois femmes, à titre exceptionnel évidemment ! Mais comme les archives ont été perdues, il n’en existe aucune preuve. Il s’agirait d’une religieuse, Anne Biget, et de deux "combattantes" (à moins que ce ne soit des cantinières qui risquaient aussi leur vie) : Virginie Ghesquière et Marie-Jeanne Schelling.

Mais la première femme dont on soit sûr, qui a été décorée de la Légion d’honneur, est Angélique Duchemin, femme Brulon, lieutenant d’infanterie, plusieurs fois blessée sur les champs de bataille du Premier Empire. Ajoutons que ce fut par Napoléon III, sous le Second Empire.

Pourquoi avoir attendu si longtemps ?….Reprenons donc par le commencement.

Angélique Marie Josèphe Duchemin est née à Dinan en 1772. Elle y passa sa jeunesse, et à l’âge de 19 ans, fit la connaissance d’un sympathique garçon qu’elle épousa. Il s’appelait Brulon et était caporal aux armées.

A cette époque, le France était en guerre contre presque toute l’Europe. Ceux qui se sont engagés pour sauver la Patrie en 1792 sont restés sous les drapeaux pendant près d’un quart de siècle, puisqu’aux guerres de la Révolution ont succédé celles de l’Empire. Encore faut-il ajouter qu’il fallait avoir de la chance pour échapper aux batailles de plus en plus meurtrières, de Valmy à Eylau.….ou Waterloo….

Le caporal Brulon n’eut pas cette chance, puisque peu de temps après son mariage il trouva la mort dans un engagement. Voilà notre Angélique veuve. Allait-elle rentrer sagement à Dinan et pleurer son époux disparu en filant sa quenouille au coin du feu ?……Non ! Elle prit une décision impensable de nos jours, même irréalisable, mais qui s’explique par le besoin pressant de soldats.

Elle pensa que son mari étant mort, il lui fallait tout simplement le remplacer ! Elle revêtit l’uniforme de feu le caporal Brulon, se présenta devant le colonel du 42è régiment d’Infanterie et lui tint ce mâle langage :

- « Mon colonel, mon mari le caporal Brulon qui servait dans votre régiment, a été tué. Je viens le remplacer….

A-t-il eu le temps de réaliser ? Les hommes à cette époque portaient les cheveux longs, comme les femmes. Sous l’uniforme, l’illusion était parfaite. La patrie avait besoin de volontaires. C’était l’époque de la levée en masse. Le colonel accorda l’autorisation.

Voilà donc notre veuve Brulon caporal (caporale ?….) dans le 42è Régiment d’Infanterie ! Elle commençait une carrière brillante, mais courte. Très vite, son courage et son énergie firent merveille, si bien qu’au bout de quelques mois, elle fut nommée sergent (à moins qu’il faille dire sergente….)

Son régiment se trouve alors en Corse, nouvellement française. Profitant de cette période de troubles, Paoli, qui avait déjà lutté contre la monarchie française après qu’elle eût acheté l’île, revient dans les "fourgons" anglais. Sir George Eliot prend même le titre de vice-roi de Corse…..ce qui est mal accepté par les insulaires.

De nombreux combats ont lieu, où le sergent Brulon se distingue. A Linico, tous les servants d’un canon ont été tués. N’écoutant que son courage, elle manœuvre elle-même la pièce. A Gesco, elle est blessée d’un coup de sabre en défendant le fort. Elle continue néanmoins la lutte, sa blessure n’étant pas trop grave.

Imaginant mille ruses, elle traverse les lignes ennemies de nuit, arrive à Calvi où elle entraîne les femmes à sa suite, leur fournit des armes, les initie rapidement au maniement. La petite troupe ainsi formée prend l’ennemi à revers.

C’est au cours de cet engagement qu’elle sera blessée grièvement à la jambe par un éclat de bombe. Cela met fin à sa carrière militaire. Elle est infirme, elle n’a que 22 ans !……

Mais ses exploits s’étaient répandus dans l’armée. Trois ans plus tard, elle est admise aux Invalides où elle finira ses jours. Nous n’en sommes pas encore là !

Pour reconnaître ses mérites et la récompenser de ses exploits, elle est nommée lieutenant. Désormais elle sera le lieutenant Brulon, et arborera fièrement les épaulettes d’officier sur son uniforme. Le temps passa. Les régimes succédèrent aux régimes. L’Empire, la Restauration (la première….puis la deuxième), la Monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire…..

Un jour en 1851, Napoléon III visita les Invalides. On lui parla du lieutenant Brulon et de ses exploits. Impressionné, il lui remit solennellement la croix de la Légion d’honneur.

Ainsi, elle avait été la première femme officier. Elle sera la première "chevalière" de la Légion d’honneur !

Elle mourra aux Invalides en juillet 1859, âgée de 87 ans. Elle y avait passé 62 années de sa vie…..Une rue de Dinan porte son nom.

 

( A plus...)

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