Voici une anecdote fort intéressante que j'ai dénichée dans un livre de G. Lenotre : "Sous le bonnet rouge"   édition Grasset, 1949.  Je l'avais écrite à ma façon pour l'Almanach du Normand 2010. Voulez-vous en profiter maintenant ? Pour  ceux qui ne le sauraient pas, Littry se situe dans le département du Calvados et on y trouvait autrefois une mine de charbon. Il doit rester un musée de la mine que je vous conseille.

 

Nous sommes en 1792. La mine de charbon de Littry occupe 300 ouvriers sous la direction de M. Noël. Il était aimé et apprécié de tous. A Rubercy, village voisin, vivait Mme de Montfiquet, une aristocrate hautaine et peu appréciée. Son mari ayant émigré, elle était restée seule dans son château avec ses quatre filles et le pimpant abbé Anquetil qui les instruisait. Ce dernier, poète et mondain, était considéré dans la région comme un peu sorcier.

Début mai, trois mineurs creusaient un fossé dans un champ. L'un d'eux, Jean-Baptiste Le Nourrichel, aperçut des pigeons posés dans un champ voisin. Les droits féodaux avaient été abolis, la chasse était donc autorisée à tous. Le jeune homme prit son fusil et tua deux pigeons.

Le garde-chasse de Mme de Montfiquet apparut. Ces pigeons appartenaient à sa patronne. Il mit en joue le jeune homme qui croyait à une plaisanterie, mais l'arme ne fonctionna pas. Le garde disparut et l'on crut que l'affaire allait en rester là. Mais il revint avec une arme nouvelle et tua le jeune homme.

Le lendemain 10 mai, M. Noël fut surpris de ne point voir les ouvriers se présenter à l'heure habituelle. On lui déclara que les mineurs ne reprendraient le travail que lorsque leur camarade aurait été vengé. Mme de Montfiquet de sa fenêtre avait assisté au meurtre, elle avait même remis au garde cent écus promis pour chaque braconnier abattu. La gendarmerie de Bayeux, venue sur place, était repartie sans inquiéter le coupable. Les mineurs devaient donc faire justice eux-mêmes !

Ils se dirigent vers le château de Mme de Montfiquet. Elle est partie. Cela désoriente les mineurs qui ne savent plus que faire. Ils se rendent chez le maire de Rubercy et lui demandant la permission d'incendier le château... Le maire répond que ce n'est pas de sa compétence... Les mineurs s'excusent et reviennent au château. Que faire ? Il faut quand même incendier le château ! Cependant quelqu'un déclare que les meubles n'appartiennent pas à Mme de Montfiquet. Qu'à cela ne tienne ! Les mineurs les sortent avec mille précautions. Puis, le château étant entièrement vide, ils font venir le maire pour lui faire constater la chose. Ils entassent alors des fagots, de la paille, et y mettent le feu. Pendant que l'incendie fait rage, ils tuent tous les animaux de la basse-cour, abattent les arbres, saccagent les plates-bandes du jardin.

Quand il ne reste plus que des ruines, ils se dirigent vers le château de Mandeville où Mme de Montfiquet s'est réfugiée. Prévenue, elle s'enfuit avec ses filles. Dans sa précipitation, elle oublie la plus jeune. Heureusement, l'abbé Anquetil est là. Il cache la jeune fille dans un four et essaie de dissuader les mineurs de mettre le feu au château car il risquerait de se propager à tout le village. Les mineurs acquiescent et déclarent poliment qu'ils ne brûleront pas le château... mais qu'ils le démoliront pierre par pierre, après l'avoir vidé de ses meubles.

C'est ce qu'ils font, calmement, posément, sans cris, sans colère, avec un entrain discipliné. Pour des hommes habitués à manier le pic, c'est un jeu d'enfant... En trois heures le château est rasé. Ils s'excusèrent du dérangement et se retirèrent, sans avoir trouvé la jeune Montfiquet, et sans avoir touché à une seule des douze barriques de cidre qu'ils avaient consciencieusement sorties de la cave.

Puis, avant de raser un troisième château appartenant à l'aristocrate, ils assistèrent à l'enterrement de leur camarade et exigèrent qu'on célébrât trente messes pour le repos de son âme. En pleine Terreur, le fait est remarquable !

Cette insurrection ouvrière, menée avec tant de détermination mais aussi de politesse, stupéfia les autorités de Bayeux qui ne savaient que faire : punir les coupables... ou admirer leur affabilité très « grand siècle »... On se détermina pour cette seconde solution et si l'on ne félicita pas les émeutiers... quand même, on ne les poursuivit point.

Le lendemain, tout le monde était au travail, comme si rien ne s'était passé. L'honneur était sauf. Mais les aristocrates de l'endroit prirent peur. Et s'il leur venait à l'idée de recommencer leurs exploits ? Les mineurs avaient beau protester que leur camarade étant vengé, on n'entendrait plus parler d'eux.

Mais l'un d'eux voulut profiter des circonstances. Il se présenta au château de Melle de Criqueville. Il lui rappela les événements récents et lui fit peur. La brave demoiselle crut calmer la situation en lui remettant 24 livres. Prévenus, les mineurs furent indignés, se jugeant atteints dans leur honneur. Ils se saisirent du coupable, l'emmenèrent au château de Criqueville et l'obligèrent à se mettre à genoux pour demander pardon. Puis ils le chassèrent de la mine, menaçant de grève si cet escroc reparaissait.

Ce nouvel exploit enthousiasma les foules. Les mineurs devinrent des personnages populaires. On leur adressa des dons et ils purent fêter dignement leurs succès...

Allez, à plus...

 

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