Un extrait d'un de mes livres...

Le jeune Yann Seitek a quitté la ferme paternelle pour courir le monde……

Il marcha tout le jour, se nourrissant des quelques miettes que lui avait données sa mère. Le soir il arriva dans une grande ville qu'il reconnut pour en avoir entendu parler par son père : Kerahès (Carhaix), l'antique Vorgium des Romains, l'ancienne capitale des Osismes, l'une des quatre villes les plus importantes de la région. A la mort du duc Jean III en 1341, elle était passée aux mains du comte de Montfort la même année, puis à celles de Charles de Blois l'année suivante. En 1345, le comte de Northampton la reprit pour Montfort. Elle retomba l'année suivante aux mains de Charles de Blois qui la rendit à Montfort en 1347, après la chute de La Roche-Derrien. Elle était donc présentement Montfort.

Depuis quinze ans, un semblant de paix régnait dans la ville. Les habitants, lassés de ces guerres incessantes, se moquaient bien d'être Blois ou Montfort, puisqu'ils étaient Bretons avant tout, et que ces querelles de familles les intéressaient peu.

Arrivant par Plouguer, Yann était entré dans la ville par la rue Bourre. Passant devant le presbytère, il obliqua sur sa droite par la rue du Pavé qui le conduisit aux Halles puis à la Place des Menues Denrées. Fatigué d'avoir tant marché, il entra dans une taverne afin de se désaltérer. La salle était pleine. Un groupe bruyant d'hommes d'armes parlait fort et buvait sec. En le voyant, l'un d'eux s'écria d'une voix avinée :

-« Voici un jeune damoiseau qui désire certainement porter les couleurs de Montfort !

C'était la première fois que Yann Seitek était confronté directement à la soldatesque.

- Laisse-le donc ! fit un autre ! Tu vois bien qu'il n'est pas d'ici !

Puis, s'adressant à Yann :

- D'où viens-tu mon garçon ?

- De Ploehie ! (Plouyé)

- Oh ! Mais tu viens de loin ! .......... Et que comptes-tu faire ici ? Tu ne sais pas. Evidemment, tu n'as rien prévu. Ecoute-moi : le sire de Quélen qui gouverne la ville pour le comte Jean de Montfort recherche des hommes d'armes pour renforcer sa garnison......... Ne tiens pas compte de la bande d'ivrognes que tu vois ici. Tu me sembles sérieux, le sire a besoin de gens comme toi ! Viens demain matin au château, tu m'y trouveras et je t'aiderai !

Le lendemain dès l'aube, Yann se présenta à la poterne du château. Il reconnut celui qui l'avait renseigné la veille et fut emmené devant le chef des gardes. En peu de mots, son engagement comme homme d'armes au service du seigneur de Quélen fut conclu.

Pendant quelques semaines, il s'entraîna aux différents exercices qui devaient faire de lui un guerrier. Comme il était fort et courageux, il devint très vite un redoutable combattant et ne s'en laissait plus conter par les soudards avinés qui avaient salué son entrée dans la ville.

L'hiver arriva. La neige se mit à tomber à gros flocons, recouvrant tout d'un épais tapis blanc. Yann effectuait de fréquentes rondes avec les autres le long des murailles. Ils sortaient par la porte de Motreff, longeaient le Martray, vaste cimetière placé sous l'invocation de St Trémeur, St Pierre, Ste Catherine et St Augustin. Ils quittaient cet endroit lugubre pour passer devant la porte de Rennes et le faubourg de la Fontaine Blanche, continuaient pour rattraper la rue Neuve et revenaient par la rue Quiniec. Ils étaient contents de rentrer au château afin de se réchauffer devant un grand feu de bois.

Le printemps succéda à l'hiver. Un jour, une troupe nombreuse d'hommes d'armes fut signalée. Dès qu'elle fut à bonne distance, on put reconnaître les étendards à fleurs de lys voisinant avec les hermines. Les troupes de Charles de Blois revenaient à la charge ! Cette fois-ci, elles étaient conduites par Bertrand du Guesclin en personne !

Le siège dura plusieurs semaines. Le mur d'enceinte très épais était capable de résister aux assauts les plus furieux. Les bretèches palissadées qui faisaient saillie sur les tours puissantes ainsi que les mâchicoulis situés au sommet des murailles, permettaient aux défenseurs de laisser tomber sur les assaillants toutes sortes de projectiles ou de matières incendiaires : pierres pesantes, pots pleins de chaux vive, eaux bouillonnantes.

Les échelles que l'on dressa furent repoussées. Yann se battait avec courage, toujours au cœur de l'action. Vingt fois les attaquants se ruèrent. Vingt fois ils furent refoulés. Quelques-uns purent prendre pied sur les embrasures des créneaux. Les coups d'épée frappaient les armures avec un bruit métallique. La lutte était intense. Sous le nombre, ils tombaient percés de coups. Les échelles s'écroulaient lourdement avec leur chargement de combattants qui s'abattaient dans les fossés. La plupart se relevaient pour repartir au combat. Mais quelques-uns restaient au sol. Les catapultes envoyaient des blocs de pierres sur les murailles. Mais elles étaient solides, et les défenseurs avaient installé partout des matelas et du foin pour amortir les chocs. Les combats furent terribles.

Au bout de six longues semaines, les défenseurs de la ville commencèrent à fléchir. Les épées, les haches, les catapultes ou balistes avaient taillé des coupes sombres dans leurs rangs. Une attaque plus impétueuse que les autres permit à un groupe d'hommes, parmi lesquels du Guesclin, de s'installer sur la muraille, non loin de la porte de Motreff, et de permettre à leurs compagnons de les rejoindre. Le futur connétable se frayait un chemin avec sa lourde épée à deux mains. Son bouclier frappé de l'aigle à deux têtes barré d'un trait de sang semblait attirer à lui tous les défenseurs. Il les repoussait peu à peu vers la rue de la Moutarde, puis les Halles. Comment résister à une telle furie, à ce monstre terrifiant de laideur, à ce vaillant chevalier ?

Il était inutile de continuer un combat perdu. Yann Seitek et quelques hommes rendirent leur épée. Du Guesclin s'approcha d'eux et dit :

- Je rends hommage à votre courage ! Mais vous défendez une mauvaise cause !

- Pourquoi mauvaise ? répondit Yann hardiment.

Bertrand le fixa dans les yeux d'un air terrible. Mais devant sa jeunesse, son regard se radoucit et il dit simplement :

- Vous serviez l'Anglais ! Vous êtes de France !

- Nous sommes de Bretagne d'abord ! lança Yann Seitek la voix frémissante.

Bertrand le regarda, surpris par son attitude courageuse. Il aimait de tels hommes.

- Oui, fit-il doucement, nous sommes de Bretagne d'abord, mais de France ensuite ! Certainement pas d’Angleterre ! N'oublie jamais cela ! Jamais ! »

(extrait de "D'Armor et d'Agoat" : Le chevalier à l'hermine )

Allez, à plus...

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