Faisons un peu de bourse si vous voulez bien...

 

 

J'avais entendu dire que la Bourse rapportait beaucoup. On avait omis de me préciser en quelle année cela se passait........ Disposant d'un petit pécule, je décidai de me livrer moi aussi à cette activité que l'on disait grisante et lucrative. Un après-midi, je poussai la porte d'une banque connue pour son amour de l'argent et qui l'affichait sans vergogne. J'avisai derrière un comptoir un employé plongé dans un grand registre qu'il semblait vouloir apprendre par cœur. Je toussotai légèrement pour attirer son attention. L'homme leva la tête au bout d’un moment et me considéra avec l'étonnement de quelqu'un que l'on arrache à son passe-temps favori. Très vite, il prit cet air condescendant qu'adoptent ceux qui savent, face aux ignorants.

- « Monsieur désire ? fit-il d'une voix suave en affichant un sourire dont le prix est habituellement estimé à un peu moins de cinq francs.

- Voilà, répondis-je en me raclant la gorge, je voudrais faire de la Bourse et j'aimerais connaître votre avis.

- Soyez plus clair : vous voulez la Bourse ou l'avis ?

- Je désire, continuai-je sans tenir compte de cette saillie, que vous me prodiguiez vos conseils sur ce sujet.

- Alors, c'est le grand jeu : la Bourse et l'avis......Bon ! Vous avez deux sortes de placements : les actions, et les obligations.

- Lequel est le plus avantageux ?

- C'est simple : si vous prenez des obligations, vous faites une bonne action. Mais acheter des actions n'est pas une obligation. Vous me suivez ?

- Tout à fait, répondis-je avec la conviction de celui qui n'a rien compris. Je suis un homme d'action ! Je me complais dans l'action !

- C'est complet ! Alors, achetez-en ! Mais bien entendu, c'est sans obligation.

- Bien sûr, puisque ma préférence va vers l'action : ne mélangeons pas les genres ! Lesquelles me conseillez-vous ?

- Prenez Eurotunnel. Ils sont actuellement au fond du trou...... enfin pas tout à fait puisque l'action veut encore quelques centimes. Mais au train où ils vont, si j'ose dire, les actionnaires seront obligés de payer pour vendre leurs actions. Ils finiront tout de même bien un jour par sortir du tunnel ! Mais shuttle ! fit-il en mettant l'index devant ses lèvres. Ne le répétez à personne !

Je réussis à prendre le sourire de celui qui a compris. Comme la bourse devait être amusante pour les initiés ! Mais pour moi, pauvre profane, ce langage hermétique était d'une obscurité totale. Ne voulant pas paraître plus bête que je ne suis pas, je répondis :

- Oui, oui, pas un mot de plus, tout cela reste entre nous. Je serai muet comme une sardine.

Son air ahuri me fit penser que j'avais dû me tromper de poisson. Mais on les avait habitués à écouter les clients les plus originaux, il reprit rapidement son air professionnel et continua sur le même registre.

- Vous avez aussi les Sicav qui se décomposent en deux groupes : les Sicav monétaires et les Sicav à vin.......

-Lesquelles sont les plus intéressantes ?

- Les plus juteuses sont indéniablement les Sicav à vin..... surtout les millésimées.......

Je découvrais un monde qui m'était entièrement inconnu. Je n'avais jamais entendu parler des Sicav à vin, et je pensais qu'il s'agissait d'espèces de coopératives vinicoles financées par des particuliers, comme moi. J'eusse mieux fait de penser : par des pigeons comme moi ! Mon interlocuteur avait dû s'en rendre compte car il continua dans la même veine :

- N'oubliez pas non plus les Fonds Communs de Placements. Mais vous pouvez préférer les valeurs étrangères. Cela dépend si vous voulez privilégier le court terme, le moyen terme ou le long terme. Dans le premier cas, le revenu est modeste; nous disons que le cours est court. Dans le dernier, c'est le long cours : il faut naviguer à vue. Il y a des écueils. Pour les éviter, on peut choisir le hors cote.

Cet individu me donnait le mal de mer. J'imaginais des bateaux naviguant entre d'énormes écueils, fouettés par le vent et les embruns, frappés par des lames de fond, essayant vainement de s'éloigner de la côte pour naviguer hors côte bien sûr ! Devant ma mine blême, il ajouta, sans doute pour me rassurer :

- Lorsque l'on fait de la bourse, il faut avoir les reins solides, car personne n'est à l'abri des turbulences rencontrées parfois au Palais Brongnard !

Tiens ! Qui est-il celui-là ? Il doit avoir les reins suffisamment solides pour naviguer à vue entre les écueils ! Pour ma modeste part, j'imaginais mon maigre pécule fondant sous l'effet conjugué du vent et des vagues. La Bourse est trop dangereuse, et je n'ai pas le pied marin ! D'une voix blanche, j'articulai péniblement :

- Excusez-moi, Monsieur, étant sujet au mal de mer, je ne suis pas tout à fait prêt à affronter le gros temps.

- Sans compter la tempête monétaire ! ajouta mon incorrigible bavard qui manifestement se régalait. Réfléchissez et revenez nous voir quand vous le voudrez. Nous serons toujours à votre disposition pour vous renseigner. Vous savez, il y a des bonnes actions, quoi qu'on dise.....

- Peut-être, mais j'ai des obligations envers certaines personnes. Je vais de ce pas déposer mes économies à la Caisse d'Épargne. Je voulais vous épargner ce détail, mais comme vous ne cessez de me vanter les actions, en voici une qui sera ma bonne action de la journée : je vais vous laisser à votre passionnante lecture, que vous avez abandonnée avec un regret manifeste à mon entrée. Au revoir Monsieur. »

Je sortis dignement et me dirigeai vers la Poste. J'y plaçai les économies qu'une vie de labeur m'avait permis de mettre de côté : 1 297,60 euros. Dans vingt ans, mon capital aura doublé. La vie était belle !

  A plus...

 

 

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