Julien vivait avec ses parents dans un grand port de pêche finistérien. Nous étions au milieu des années 40, juste après la guerre. Il ne se distinguait pas des autres garçons de son âge, qui galopaient en culottes courtes sur les quais ou se glissaient dans les canots, à moins qu’ils n’aillent pêcher le chinchard au bout de la digue.

Mais Julien avait une particularité rare : il croyait au Père Noël. A trois ans, c'est touchant. A sept ans, c'est troublant. A douze ans, c'est inquiétant. Mais l'enfant, loin de ces considérations de grandes personnes, à douze ans bien sonnés, croyait dur comme fer en ce vieux bonhomme rouge encapuchonné.

Cette croyance prolongée au-delà de l’âge dit de raison, pour ne pas dire cette crédulité excessive, faisait d'ailleurs la joie de ses parents qui éprouvaient autant de plaisir que lui, sinon plus, lorsqu’ils lui glissaient des cadeaux dans les chaussures qu’il n’oubliait pas de placer sous le sapin le 24 décembre. Ils avaient ainsi l'impression de s'offrir les cadeaux qu’ils n'avaient pas reçus à son âge.

Ils lui affirmaient avec aplomb que le Père Noël descendait par la cheminée pour déposer les cadeaux au pied du sapin. Jamais Julien n'avait pensé que l'étroitesse du conduit était un obstacle insurmontable, un empêchement rédhibitoire, à la réalisation de cet exploit. Ce patriarche joufflu et pansu devait être en caoutchouc, pour pouvoir se prêter à ces contorsions acrobatiques, à moins qu'il ne soit une baudruche qui se gonfle et dégonfle à volonté. Cela lui permettait de se glisser dans les endroits les plus resserrés. Et puis, peu importe ce qu’il était : puisque ses parents l'affirmaient, ce devait être vrai ! Comment mettre en doute leur parole ?

Et pourtant...

Pourtant, ses camarades disaient tout haut que ce personnage n'existait pas. Les plus dégourdis prétendaient même que c'étaient les parents qui, la nuit venue, se glissaient dans l'obscurité comme des malfaiteurs, déposaient délicatement les paquets enrubannés devant l'âtre où aucun feu ne brûlait et se retiraient sur la pointe des pieds. Ils auraient pu les placer ailleurs mais les deux complices d'un soir répétaient les gestes rituels que des générations de parents avaient accomplis avant eux.

- « Je les ai vus, affirma un espiègle avec force. Le soir de Noël, je n'arrivais pas à m'endormir. J’étais énervé par l’idée de découvrir mes cadeaux. J’aurais voulu être au lendemain. Soudain, j'entendis des bruits dans la salle. Je me levai doucement et entrouvris la porte. J'aperçus mes parents qui disposaient les cadeaux sous le sapin dressé près de la cheminée. Je les ai bien reconnus ! Ils avaient l'air de bien s'amuser !

- Oui, ajouta un autre, et je sais même où ils les cachent avant pour ne pas que nous les trouvions ! Un jour, je jouais dans le grenier. Mon père y entrepose les filets de pêche. Eh bien, j’ai découvert dessous les cadeaux qui m’ont été offerts à Noël... Pas si bête !

- D’ailleurs, précisa un troisième, dites-moi donc comment le Père Noël s’y prendrait pour passer à travers un tuyau de cheminée si étroit qu’un thon se trouverait coincé ? Même une bonite !

(Nous sommes au bord de la mer, ne l’oubliez pas… Les poissons n’ont aucun secret pour les enfants. Ils sont la référence, le certificat de conformité…)

Julien les écoutait, haussait les épaules et répondait :

- Mais non, vous vous trompez tous. C'est le Père Noël qui vient apporter les cadeaux… pas les thons !

- C’était une comparaison, crut bon de se justifier le troisième larron. Je me doute qu’un thon…

- Bien sûr ! confirma Julien… Il n’en est pas moins vrai que le Père Noël existe et que la nuit de Noël, il descend par la cheminée pour apporter à tous les enfants du monde le cadeau qu’ils attendent !

- Comment peux-tu être aussi sûr de toi ?

- C'est ma mère qui me l'a dit ! »

Que répondre à cela ? Heureuse époque où de tels enfants existaient encore ! Oui, heureuse époque où les enfants croyaient leurs parents, obéissaient à leurs parents… Que voulez-vous dire à un gaillard de douze ans convaincu qu'un vieux bonhomme barbu, enveloppé d'une épaisse houppelande, une hotte débordante de jouets sur le dos, se faufile à travers un conduit étroit couvert de suie, sans que sa barbe blanche en pâtisse ?

Julien croyait donc au Père Noël et chaque 25 décembre lui apportait un cadeau dont l'importance, il est vrai, était inversement proportionnelle à son âge…

Un soir, vers la mi-décembre, il furetait dans le tiroir de la commode placée dans une petite pièce servant de débarras. Il adorait fouiller dans cet endroit où il trouvait souvent des objets disparates. Soudain il aperçut, au fond du tiroir, une chaussette dont la grosseur indiquait qu'elle n'était pas vide. Il sourit en pensant que quelqu'un aurait pu y oublier son pied ! Il lui arrivait fréquemment d'avoir de telles idées cocasses dont il était le seul à rire, car il les gardait pour lui. Les adultes ne comprendraient certainement pas !

Curieux, il sortit la chaussette de sa cachette, la posa sur la commode et entreprit de la vider de son contenu. Il introduisit sa petite main dans le cylindre de laine, attrapa l'objet dissimulé et tira délicatement.

La chose apparut au grand jour. Les yeux écarquillés, il serrait dans sa main un camion miniature d'un rouge éclatant.

- Une voiture de pompiers ! fit-il ravi.

En y regardant de plus près, il ne s'agissait pas d'un tel véhicule, mais d'un camion semi-remorque dont la longueur totale n'excédait pas quinze centimètres. Ses joues s'empourprèrent de plaisir. Cet objet lui était certainement destiné ! Mais pourquoi ses parents l'avaient-ils caché là ? Son anniversaire était passé. Ses résultats à l'école ne justifiaient pas un tel présent. Il ne comprenait pas. Mais il l'avait découvert, inutile donc de le laisser plus longtemps dans sa chaussette ! Tout excité, brandissant son trophée, il fit irruption dans la cuisine où sa mère préparait le repas.

- « Maman, maman, regarde ce que j'ai trouvé !

Elle sursauta à ces cris et apercevant le cadeau qu'elle avait caché là, le croyant inaccessible, lança d'une voix courroucée :

- Où as-tu déniché cela ?

- Dans le tiroir de la commode, répondit Julien joyeusement. C'est drôle, il était caché dans une vieille chaussette !

Contrariée dans ses projets, désorientée par la découverte du cadeau de Noël et pensant que l’époque du Père Noël était désormais révolue, elle ne put s’empêcher d’administrer une paire de claques sur la figure du pauvre Julien, surpris d'un tel accueil. En se frottant la joue, il se demandait quelle bêtise il avait pu faire.

- Eh bien, voilà, fit la mère d'un air soudain résigné. Il fallait bien que cela arrive un jour. Tu n'allais pas croire au Père Noël jusqu'à ton service militaire ! Eh oui ! Le Père Noël, c’est moi !… »

Julien eut l'impression que le monde s'effondrait autour de lui. La tête lui tournait. Il se rappela des paroles de ses camarades : le Père Noël n'existe pas… Ce sont les parents... Ils cachent les cadeaux dans des coins où ils pensent que nous ne les trouverons pas… Pas si bête… C’est lui qui avait été bête de croire une telle fable ! Il comprenait leurs quolibets.

Ah ! On s'était bien moqué de lui. Il s'en voulait d'avoir été trop crédule. Il en voulait aussi un peu à sa mère d’avoir trompé sa confiance, lui qui croyait tout ce qu’elle lui disait… Désormais, il ne la croirait plus !

A douze ans, par la vertu d'un petit camion rouge, Julien était devenu un homme ! Mais s’il ne croyait plus au Père Noël, ce dont on peut se réjouir, il ne croirait plus en sa mère. Et ça, c’est quand même dommage…

Alors, Parents, vous qui me lisez, laissez donc le Père Noël (et les cloches de Pâques !) au rayon des accessoires inutiles ! Car tromper la confiance d'un enfant, même pour des choses qui paraissent aussi futiles que cette croyance au Père Noël, ça peut laisser des traces et avoir des conséquences que l'on ne peut même pas soupçonner...


  (extrait de mon livre "D'Armor et d'Argoat" où vous trouverez d'autres contes de Noël...)

(à plus...)

 

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