En lisant le livre d'Alain Decaux  « L'empire, l'amour et l'argent » Librairie Académique Perrin, 1982, j'ai trouvé l'histoire de la publication de "Madame Bovary" et je n'ai pas résisté à la publier à ma façon dans l'Almanach du Normand 2011 auquel je collaborais. Je ne résiste pas non plus à  vous en faire profiter (à moins que cela n'ait déjà été fait,  et je vous demande de m'excuser... mais en vieillissant, on oublie...)  Cela mérite d'être  lu et relu...

« Madame Bovary » est l'œuvre maîtresse de Flaubert. Pourtant lorsque ce roman parut, il rencontra « quelques problèmes »... et fut l'objet d'un procès.

La Revue de Paris annonça en juillet 1856 qu'elle publierait bientôt le premier roman d'un parfait inconnu : Gustave Flaubert, qui était d'ailleurs orthographié « Faubert »... C'était l'époque bénie des romans-feuilletons.

La Revue de Paris, créée en 1821, prêtait ses colonnes aux jeunes auteurs. Flaubert avait mis trois ans à écrire « Madame Bovary » et cherchait à être publié. Comme il connaissait Maxime Du Camp qui était un membre éminent de la Revue, la chose fut facilitée, quoiqu'on demandât à l'auteur de procéder à quelques coupures car certaines « réalités » du roman risquaient de choquer les bonnes âmes du Second Empire... Flaubert poussa des cris d'écorché vif... mais obtempéra... à contre coeur.

La publication commença le 1er octobre 1856. Dès le début, les protestations furent vives de la part des abonnés qui criaient au scandale. « Quoi ! Il y a des femmes pareilles ! Des femmes qui trompent leur mari... » Que penseraient les étrangers... La belle opinion qu'ils auraient de notre belle France !

On allait même jusqu'à insinuer qu'imprimer de telles horreurs n'avait d'autre but que de nuire au gouvernement. Ni plus ni moins... Maxime Du Camp, qui pensait avoir pris toutes ses précautions, fut fort surpris. Flaubert se dit que tous ces gens étaient fous... Il haussait les épaules, pensant que tout cela passerait. « J'estime, par-dessus tout, d'abord le style, ensuite le vrai » dit-il.

Cependant une bonne âme vint prévenir Maxime Du Camp qu'en haut lieu on envisageait de poursuivre La Revue de Paris en correctionnelle ! Cela pouvait signifier la suppression du journal. Il fallait éviter cela, lire encore plus attentivement les chapitres restant à publier et supprimer ce qui semblerait « tendancieux »... Pour le coup, Flaubert s'y opposa catégoriquement. « Je m'en moque ! dit-il. Si mon roman exaspère des bourgeois, je m'en moque ! Vous avez pris La Bovary telle quelle, vous la publierez telle quelle ! »

Rien ne le fit changer d'avis, surtout pas les lettres virulentes échangées avec la rédaction du journal. Finalement, ce dernier procéda aux suppressions. Fort en colère, Flaubert publia une mise au point dans laquelle il stigmatisait ces dernières et déclinait la responsabilités de l'œuvre qui ne devait être considérée que comme un fragment et non comme un ensemble.

Cette précision de l'auteur ne fit que mettre l'accent sur le roman et « attirer l'attention des bureaux ». Il fallait vraiment que la scène supprimée soit bien immorale ! (il s'agit de la scène du fiacre). On regarda de plus près et quand arriva ce passage où Emma n'avait pas peur de « faire d'un seul geste tomber ensemble tous ses vêtements », la chose était entendue. L'auteur, l'éditeur, l'imprimeur, étaient passibles des tribunaux !

Le procureur impérial désigna un jeune substitut, Ernest Pinard, de tenir le rôle du ministère public. En effet, dit-il, si l'auteur du roman possède un talent indéniable, laisser passer certaines scènes seraient ouvrir la porte à tous les excès. Le jeune Pinard accepta, bien que le procureur lui ait proposé de le remplacer, le trouvant peut-être un peu jeune, et surtout sentant la place d'accusateur public très exposée...

Flaubert, impassible jusqu'à ce moment, s'affola. La correctionnelle : Le déshonneur ! Il veut éviter cela. Il fait appel à sa famille, fort estimée à Rouen comme dans tout le département de Seine-Inférieure, demandant à son frère, le docteur Achille Flaubert de faire remarquer au préfet qu'en l'attaquant pour immoralité, « on blessera beaucoup de monde ». Les « bovarystes » s'activent, l'impératrice est sollicitée, on croit l'affaire réglée, lorsqu'on apprend qu'elle est inscrite au rôle du 24 janvier 1857 (l'affaire... pas l'impératrice !...).  Elle sera finalement reportée au 31 janvier (toujours l'affaire...).

Le président Dubarle est gêné de juger une telle cause. C'est un homme d'esprit, fin lettré, plutôt bien disposé envers Flaubert et ses « complices »... Et puis un procureur nommé Pinard... cela ne prêterait-il pas... à rire ?

Le réquisitoire de Pinard peut commencer. Il cite dans l'œuvre incriminée tous les passages « lascifs », du moins, ceux qu'il considère comme tels. Il y trouve le délit d'offense à la morale religieuse et à la morale publique. Il termine en demandant de réserver à l'auteur le maximum de sévérité. Son beau réquisitoire l'a fait entrer dans l'Histoire, au milieu de « la cohorte innombrable des grotesques »...

L'avocat, Maître Sénard, reprend point par point les critiques de Pinard. Sa plaidoirie durera quatre heures. Huit jours de délibéré. Le jugement est rendu le 7 février. Je passe sur les « attendus » fort nombreux, pour en arriver à la fin :

« Dans ces circonstances, attendu qu'il n'est pas suffisamment établi que Pichat, Flaubert et Pillet se soient rendus coupables des délits qui leur sont imputés ;

Le Tribunal les acquitte de la prévention portée contre eux et les renvoie sans dépens. »

Si La Revue de Paris peut s'estimer satisfaite, Flaubert lui triomphe. Il était inconnu, le voilà célèbre. Le jeune Pinard avait été son meilleur agent de publicité ! Flaubert devient le chef d'une nouvelle école, le réalisme. Le livre s'arracha. On y cherchait bien sûr les fameuses scènes lascives tant décriées par M. Pinard...

Si Madame Bovary fut l'un des plus grands succès littéraires, c'est parce que les « hautes sphères du pouvoir » avaient décrété que son auteur offensait la morale publique...

A quoi tiennent les choses...

 

Allez, à plus !

 

 

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