Voici une histoire que j'ai lue dans le livre de G. Lenotre : "Sous le bonnet rouge" éditions Grasset 1949). Toujours à l'affût d'anecdotes originales, j'ai pensé qu'elle vous intéresserait. L'Histoire est un véritable roman, rempli d'anecdotes de ce genre et rien ne vaut le talent de G. Lenotre pour nous les faire découvrir. Il me suffit de les réécrire à ma façon. La voici donc.

 

 

L'abbé Fauchet est né dans le département de la Nièvre en 1744. Remarqué pour ses talents d'orateur, il devint prédicateur du roi. Mais le ton de ses sermons indisposa et il fut banni de la cour. Il adhéra immédiatement à la Révolution et participa à la prise de la Bastille, faisant preuve d'un grand courage.

Il fut donc élu le 17 avril 1791 évêque du département du Calvados. Il fut sacré à Notre-Dame par Gobel, évêque constitutionnel de Paris. Il en profita pour s'affilier à la Société des Jacobins avant de rejoindre à petites étapes son évêché de Bayeux, afin de laisser le temps à son prédécesseur, Mgr de Cheylus, de partir.

L'arrivée à Bayeux se fit dans une solennité joyeuse. Nous étions encore au temps des grandes espérances... disons plutôt des grandes illusions... La ville entière – ou presque – lui fit bon accueil. Avant d'entrer dans la cathédrale, un notaire apostolique lui tendit discrètement (mais tout le monde le vit...) une ordonnance de son prédécesseur lui interdisant d'exercer sous peine d'excommunication, les fonctions épiscopales. Les prêtres ou évêques constitutionnels n'étaient pas bien vus de tous...

Ce n'est pas cela qui allait faire reculer un preneur de la Bastille ! Il entra fièrement dans la cathédrale, fit un discours éloquent, prêta à nouveau serment. Un banquet offert par la municipalité s'ensuivit, le nouvel évêque visita le Club des Jacobins et assista au défilé de la garde nationale.

Cette « lune de miel » dura quelques jours. La pompe dont s'entourait le nouvel évêque plaisait bien aux Bajocasses, tant qu'ils n'avaient pas à en supporter les frais... Mais là... le citoyen-pontife voyait grand ! Il réclamait 16 vicaires épiscopaux, 8 prêtres chantres, 2 joueurs de serpent, 8 enfants de chœur, 2 sacristains, un organiste, 2 bâtonniers, un suisse, 3 clercs, un sonneur; un horloger, 2 bedeaux, un souffleur et un porte-bannière. Ce n'est pas tout. Il exigeait 900 livres pour le luminaire, 100 livres pour l'huile et l'encens, du vin pour une valeur de 500 livres, et 600 livres pour l'entretien des ornements et du linge. Fermez le ban ! On essaya bien de marchander... mais comment refuser à quelqu'un qui avait pris la Bastille ?

Mais on s'accommodait tant bien que mal du nouvel évêque... Ce dernier, rempli d'un zèle de néophyte, résolut d'aller visiter les 900 paroisses de son diocèse. La première fut Honfleur. Son arrivée était prévue le 25 mai à six heures du soir. Il n'y arriva qu'à minuit à cause des mauvais chemins. Le lendemain matin aux aurores, il était prêt pour une nouvelle journée qu'il passa en visites d'églises, discours, bénédictions, courant de la société philanthropique à l'asile des pauvres, sans oublier le club, jurant ci promettant ça... Les autorités avaient du mal à le suivre. Le soir à 10 heures, il haranguait encore. Il laissa en partant une population exténuée...

A Lisieux, les acclamations furent aussi fortes. Mais il s'aperçut que son voyage pastoral s'apparentait plus à une tournée politique. Il était plus souvent au club qu'à l'église et les chansons qu'on y chantait n'avaient rien à voir avec les cantiques... A Falaise la municipalité avait prévu un banquet par souscription. Mais les invités payants furent si peu nombreux que le repas, « des plus économiques », fut payé par la caisse municipale. La supérieure du couvent des Ursulines lui refusa l'entrée mais dut s'exécuter de mauvaise grâce. Mais à peine fut-il entré que toutes les religieuses se réfugièrent dans une chambre haute de la maison. Fauchet parcourut les bâtiments sans rencontrer une nonne.

A Vire, un Te Deum particulier l'accueille :

« Notre évêque est arrivé

Il faut boire à sa santé ! »

Fauchet commençait à se poser des questions. On lui offrait des couronnes de chêne et des rubans tricolores, on banquetait, on trinquait à sa santé. Mais personne ne demandait sa bénédiction...

A Colleville-sur-mer pourtant, il monta en chaire. Mais son sermon fut interrompu par les gars de Colleville qui ne voulaient pas de sermon. Il se fâcha mais dut partir. A La Délivrande, ce furent les patriotes qui s'indignèrent de le voir entrer dans l'église. Pour un évêque pourtant, quoi de plus naturel ? A Bernières, il fut accueilli par le seul bedeau qui lui présenta sur une assiette une branche de feuillage artificiel en lui déclarant : « A faux évêque, faux laurier ! » Puis comme Fauchet était entré dans l'église, le bedeau l'y enferma et notre citoyen-pontife dut sauter par la fenêtre.

Cet incident le décida à interrompre sa tournée pastorale. Rentré à Bayeux, il dut batailler contre la municipalité que, du haut de sa chaire, il traita de « petite municipalité ». Cette sortie mit le feu aux poudres. Déjà les messes n'étaient plus suivies, les chaisières voyaient leur chiffre d'affaire baisser dangereusement. Le district cherchait un moyen de le mettre en arrestation.

Une chance pour Fauchet : on approchait des élections à la Législative. Fauchet, dégoûté de l'épiscopat, désirait devenir député. Il obtint les votes de la « petite municipalité », satisfaite de le voir partir, et quitta Bayeux après cinq moins de pontificat... houleux.

Il sera effectivement élu à la Législative puis à la Convention mais il partagera le sort des députés girondins. Il sera guillotiné le 31 octobre 1793.

 

 

Allez, à plus !

 


 

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