- Qu’a-t-elle voulu dire par Louis ?....Tu as compris, toi ?....

- Rien de rien ! J’ai dit que j’avais compris pour qu’elle retrouve la paix. Et toi ?

- Brin !....

Après l’enterrement, les enfants se réunirent. L’aîné continua à s’occuper de la ferme, les autres se partagèrent quelques sous. Un bien maigre héritage en vérité !....

- C’est quand même étonnant, fit l’un d’eux. J’aurais cru qu’ils avaient quelques économies. Il semble me rappeler que pendant la guerre, ils ont gagné beaucoup d’argent !

- Ils l’ont apparemment dépensé !....

- Je voudrais bien savoir ce que signifiait ce Louis qu’elle nous a dit avant de mourir !....

- Un amour de jeunesse…. peut-être !....

- En tous cas, son rhodo, je ne veux plus en entendre parler !....Je crois que je suis vacciné contre les rhododendrons pour longtemps !

Ils vendirent la petite maison au rhododendron. Ils ne voulaient plus voir cet arbuste somptueux : il leur rappelait trop leur mère. C’est un jeune couple qui l’acheta. Ils avaient trouvé le rhododendron superbe, mais pensèrent qu’il était mal placé. Ils attendirent le mois de décembre pour le déterrer et le replanter dans un endroit plus approprié où il pourrait montrer sa magnificence : un peu d’ombre et un peu de soleil.

Le jeudi 5 décembre 1991, après son travail, le mari entreprit de déterrer le rhodo. Il n’avait pas choisi cette date parce qu’elle marquait le 200è anniversaire de la mort de Mozart. Non : je vous assure que c’était un pur hasard… Bref, il commença à creuser tout autour afin de bien dégager les racines et pouvoir le replanter avec succès. Une chance : le rhododendron se transplante assez facilement. Notre homme avait su choisir le moment favorable.

Soudain, son louchet heurta quelque chose de dur. Un caillou plus gros que les autres sans doute !....Il décida de le contourner. Au bout d’un quart d’heure, il aperçut un coffre en bois cerclé de fer. Tiens ! Il déterra soigneusement le rhodo et entreprit de dégager ce coffre bizarre. Quand ce fut fait, il se pencha pour le sortir de son trou. Il était trop lourd. Que pouvait-il bien contenir ?....

Il appela sa femme pour l’aider. A eux deux, ils eurent beaucoup de mal à extraire le coffre du trou où il semblait enterré depuis longtemps.

- Ça pèse au moins une tonne ce machin-là !...

- Peut-être pas une tonne…. fit la femme plus pratique, mais pas loin de cent kilos !....Heureusement que je suis aussi forte que toi !...

Ils l’emmenèrent dans la cuisine et le posèrent sur le sol. La serrure était rouillée, un coup de marteau la fit céder. Ils soulevèrent délicatement le couvercle…..et poussèrent un cri.

Leurs yeux ébahis découvrirent un amoncellement de pièces d’or comme ils n’en avaient jamais vues. L’or du père et de la mère Mautorte !.....

 

- Le trésor de Rackam le Rouge !....s’écria la femme qui avait des lettres.

Le mari plongea les bras dans cette manne dorée. Les pièces roulaient délicieusement sous ses doigts. Il en prit une : c’était un napoléon, un louis d’or comme l’appelait aussi.

- Mazette !....fit le jeune inventeur du trésor selon l’expression consacrée. D’où cela peut-il venir ?....

- Combien peut-il y avoir ? fit timidement la femme.

Ils passèrent la nuit à compter. Au petit matin, les yeux cernés mais la figure radieuse, les piles de pièces s’alignaient sur toute la table. Ils comptèrent un peu plus de cinq cents piles de trente pièces, soit environ 15 000 pièces. Le mari alla chercher le journal Ouest France que l’on avait déposé comme chaque jour dans un tube de plastique à côté de la barrière et chercha la cotation de l’or. Il poussa un sifflement :

- Fichtre !....Le napoléon cote 370 F. Ce qui nous fait pour 15 000 pièces….

La main tremblante, il crayonna des chiffres et déclara en bredouillant un peu :

- Je…je trouve plus de cinq millions et demi de francs….

- Anciens ou nouveaux ?

- Qui te parle d’anciens francs ?....Cinq millions et demi de francs, que je te dis !

- Cinq cent cinquante millions d’anciens francs, alors…..

- Toi avec tes anciens francs !....Quand vas-tu te décider à compter comme tout le monde ?....

- Je compte comme je peux…. et je me comprends !

Ils restèrent un long moment sans voix. Puis le mari dit :

- Sors-nous la bouteille de Manor au lieu de dire des bêtises !....Il convient de fêter dignement cet événement !

Les deux époux sirotèrent leur apéritif à petites gorgées.

- A qui cela peut-il bien appartenir ? fit la femme.

- Mais…. à nous, puisque nous l’avons trouvé sur notre terrain !

- Hum !....Pas si sûr. Les questions d’argent, c’est toujours compliqué quand on sait de quoi il s’agit. Alors, quand on ne sait pas……Pour en être sûr, allons demander à un notaire ! Mais…. pas celui qui nous a vendu la maison. Il se méfierait…. Un autre !

- Tu as raison : on n’est jamais assez prudent !....Bigre ! cinq millions !....

- Et demi !.....

Ils se rendirent chez un notaire d’une commune voisine. Le gars dit :

- Voilà : je voudrais un renseignement. Une supposition…..je dis bien une supposition…que je trouve un trésor…..enfin des pièces en or à deux pas de ma maison, cachées dans les racines d’un rhododendron. A qui ce trésor appartiendrait ?....

- Une question en appelle une autre….répondit le notaire. Ce trésor….comme vous dites, vous le cherchiez…ou vous l’avez trouvé par hasard ?

- Par un pur hasard !

- Donc j’en conclus que votre supposition….n’en est plus une. Vous avez donc trouvé, par hasard, des pièces en or. C’est bien cela ?

Décontenancé (mais le gars ne devaient pas fréquenter beaucoup les notaires…..) il répondit :

-  Oui….

- Il se trouvait bien sur votre propriété….

- ….oui…

- Avez-vous une idée de celui qui l’aurait mis là ?

- Pas du tout !

- Le code civil dit…excusez-moi…fit-il en compulsant un gros livre….Voilà…dit exactement : (je lis) « Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété et qui est découverte par le pur effet du hasard (article 716 du code civil). La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds. » C’est bien le cas ?....

- Dame oui ! Un pur hasard ! Et le coffre était caché comme je vous l’ai dit dans les racines d’un rhododendron, juste devant notre maison, donc sur notre terrain.

- Vous êtes bien propriétaires ?

- Oui, depuis quelques mois. Nous avons acheté la petite maison de Madame Mautorte.

- Ah !...Je vois.

- Et….fit le gars inquiet…..faudra-t-il payer des impôts là-dessus ?

- Non. Un trésor n’est pas un revenu. Il n’est donc pas assujetti à l’impôt. Une chose encore. S’agit-il d’un trésor archéologique ou de pièces d’or anciennes ?...

- J’en ai amené une pour vous montrer. La voilà.

- Hum…. Un napoléon. C’est banal……Et…. il y en a beaucoup comme cela ?

- Environ 15 000 !...

- 15 000 !......

Le notaire faillit avaler son dentier de saisissement.

- Mais dites donc…. c’est une véritable fortune !

- Je ne vous le fais pas dire…. C’est pourquoi je voulais savoir si ce trésor était bien à nous.

- Si ce que vous m’avez déclaré est vrai, comme la maison et le terrain avoisinant vous ont été vendus, tout ce que vous trouvez dedans vous appartient.

- Ce trésor est donc à nous ?

- Eh bien mes amis, oui : jusqu’à preuve du contraire, ce trésor vous appartient !

- Comment cela « jusqu’à preuve du contraire ? »

- Il doit s’agir d’argent que feue Madame Motorte avait caché. Vous avez acheté sa maison. Le trésor est à vous, mais je pense que les héritiers Mautorte vont essayer de récupérer le trésor de leur mère. Il n’existe aucune preuve qu’il leur appartient. A moins peut-être qu’elle ait signalé la chose chez un confrère…..

Les enfants Mautorte tombèrent des nues en découvrant dans le journal la découverte du trésor.

- Ça alors !...Elle nous a bien eus avec son rhodo !....

- Elle nous avait pourtant prévenus…

- Oui…. par énigmes….Je comprends maintenant ce qu’elle nous a dit avant de mourir : louis et rhodo…..Tu aurais dû comprendre, toi qui te dis le plus intelligent de nous !

Ils faillirent en venir aux mains. Ils comprenaient, mais un peu tard. Tout leur revenait : les fleurs ont de bonnes raison d’être jaunes….Il m’est précieux….Comment n’avaient-ils rien deviné ?

Ils firent tout pour récupérer ce qu’ils considéraient comme leur bien : en pure perte. Madame Mautorte n’avait signalé nulle part la présence d’une telle somme. Elle avait sans doute peur qu’on lui demande des comptes…..Ils durent se faire une raison : le trésor ne leur appartenait plus. Il était désormais à ce jeune couple qui put s’acheter une maison plus grande ailleurs afin d’élever leurs enfants. Ah !...Comme ils regrettaient de ne pas avoir compris ce que leur disait leur mère !...Et puis, elle aurait quand même pu les avertir !....La mort est arrivée trop brusquement. On croit toujours être plus fort que les autres. Aussi, braves gens qui me lisez, ne commettez pas la même erreur ! Ne cachez pas votre trésor sous un rhododendron ! Ou alors, prévenez vos enfants !.....

Moralité : bien mal acquis ne profite jamais !......

 

(Extrait de mon livre "de derrière les fagots")

 

Allez, à plus...

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