Voici une histoire que j'ai découverte dans un livre de G. Lenotre : "La Révolution par ceux qui l'ont vue", Grasset éditeur 1934. Je m'en vais vous la narrer à ma façon, comme je le fais habituellement.

 

En 1784, l'abbé Rever prit possession de la cure de Conteville, charmant village niché entre Honfleur et Pont-Audemer. Il avait 31 ans. Féru d'archéologie, il consacrait les heures laissées libres par son ministère à cette recherche du passé à laquelle il avait réussi à entraîner quelques paroissiens désoeuvrés. Il devint vite populaire et bientôt tout le village ne jurait que par lui... ce qui est une façon de parler, bien sûr...

Quand sonna l'heure de la Révolution, son esprit pacifique lui fit prêter le serment civique et c'est tout naturellement qu'il se retrouva administrateur du Conseil général du département nouvellement créé (l'Eure). En 1791 il fut tout aussi naturellement élu député à l'Assemblée législative et partit pour Paris, se promettant de ne s'allier avec aucun parti. Cette neutralité parut suspecte à une époque où il était de bon ton d'afficher ses opinions, extrêmes parfois. Haï des royalistes comme prêtre assermenté, repoussé par les extrémistes comme modéré, il avait eu l'audace de garder sa soutane. Un jour un Jacobin l'interpella:

- « Dis donc, citoyen curé, si tu es un vrai représentant du peuple, ôte donc ta soutane !

- Oui, répondit Rever, quand tu auras enlevé ta carmagnole ! »

Mais cela ne pouvait durer. Dès les débuts de la Terreur, devenu plus que suspect, il fut emprisonné. On sait où et comment cela se terminait. N'entendant plus parler de lui, ses ouailles se renseignèrent. On leur apprit qu'il était en prison à Paris.

Un groupe de paysans de son village se rendit donc à Paris, alla au Comité de Sûreté générale pour réclamer son curé. La chose stupéfia tellement les sans culottes qu'ils libérèrent l'abbé, ramené triomphalement à Conteville.

Il continua d'exercer le culte comme prêtre constitutionnel tout en poursuivant ses recherches archéologiques. Notons qu'il fut l'initiateur des « leçons de choses » et des déplacements scolaires. Mais cet esprit novateur en pédagogie était un conservateur en politique. Il resta fidèle à la Constitution civile du clergé de 1791, et cela malgré la promulgation du Concordat.

Il fut donc tout naturellement excommunié par le pape et interdit d'exercer par l'empereur... Propriétaire de son presbytère, il s'y retira. Et un certain jour de 1802 un jeune prêtre se présenta comme son successeur, l'abbé Dumanoir. Dès le début la sympathie naquit entre les deux hommes. L'abbé Rever accepta de loger son successeur et lui confia tous les objets du culte, qui étaient pourtant sa propriété. Il ajouta avec malice:

- « Et ne pouvant plus dire la messe, j'y assisterai parmi les fidèles... au dernier rang, comme le publicain... »

Il avait laissé tomber le « ré »...

Dire que les paysans étaient ravis de cette situation serait exagéré. Ils étaient décontenancés. Ils avaient deux prêtres : un vrai... et un faux... Mais ce qui les déroutait le plus c'était la connivence entre les deux hommes d'église. On aurait compris qu'ils s'insultassent... Mais cette complicité devenait suspecte... une fois de plus...

C'est bien connu : quand on se sait pas, on invente ! On accusa l'abbé Rever de se livrer au sabbat et à la magie, prétendant même qu'il traverserait bien la Seine « en marchant sur l'iau »... A cette époque, la magie faisait peur plus que tout au monde. L'abbé se sentit incompris. Ses anciennes ouailles, qui avaient bravé le Comité de Sûreté générale pour l'arracher à la guillotine, le fuyaient comme un « homme ben à craindre »...

L'abbé Dumanoir mourut en 1813, le seul ami du brave curé. Il l'ensevelit suivant ses dernières volontés.

Un remplaçant arriva, avec lequel les choses allèrent différemment. L'abbé Rever abandonna son presbytère mais resta dans sa paroisse. Lui qui avait bravé la Terreur en soutane, l'abandonna pour un habit de Conventionnel, à haut collet, à grands revers avec le jabot de linon. Il avait l'esprit de contradiction... Ce changement de costume aviva les haines à son endroit. Pour tous, Rever était le Jacobin !

Il mourut en 1828. Son corps fut enfoui hors du cimetière paroissial sur une route afin que les paroissiens foulent sa fosse. La lecture de son testament fit l'effet d'un coup de tonnerre. On apprit qu'il était noble et léguait toute sa fortune au village.

Ceux qui l'avaient outragé se sentirent honteux. Ils retrouvèrent l'enthousiasme d'autrefois pour l'abbé, teinté de repentir, et retirèrent de sa fosse les restes du bienfaiteur du village pour le déposer dans la tombe qu'il s'était préparée près de celle où reposait son ami Dumanoir.

 

Intéressant, non ? ? ? Allez à plus !

 

 

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