Dans la série "ris, rions, rillettes...", voici une joyeuseté parue dans un de mes livres : "De derrière les fagots".

En espérant que je ne vous l'ai pas déjà proposée...

 

Ce matin-là en se regardant dans la glace, Alcide Merlerault trouva qu’il avait un visage fatigué. Il passa la main sur ses joues, plutôt sur ses bajoues, qui commençaient à se relâcher avec l’âge. Pourtant, il n’avait que quarante ans ! Il fit une grimace. Décidément, ce n’était pas son jour ! Un lundi, évidemment !…..

Et puis, il en avait assez de sa moustache !…..Il la portait depuis assez longtemps !…..Depuis son service militaire !…..Au début, elle lui donnait un visage viril. Une moustache conquérante, fine et élégante, dans un visage jeune et séduisant !…..Elle n’avait pas été étrangère dans la conquête de sa femme……

Justement, tiens ! Sa femme dormait encore. Ils étaient mariés depuis…. depuis combien de temps déjà ?…..Quelques années, oui…..Quinze…. ou vingt ! Qu’importe ! Il ne les comptait plus. C’était bon pour les jeunes !…..D’ailleurs, sa femme…..Il la trouvait un peu distante, distraite, ailleurs. Lorsqu’il voulait comme on dit pudiquement remplir ses devoirs conjugaux, elle prétextait toujours une migraine. Non, pas ce soir…..Demain !…..Et le lendemain, c’était la même chanson…..avec une excuse différente…. Elle était fatiguée…..Elle venait de se faire une mise en plis……Elle avait mal quelque part…..Alcide aurait pu dresser la liste de toutes les raisons servant de prétexte à ne pas…..

Ah oui !…. Pour elle, c’était vraiment la corvée conjugale plutôt que le devoir conjugal !…..Un devoir qu’elle évitait adroitement ! D’ailleurs, a-t-on idée d’appeler cela le devoir conjugal ?…..Il considérait plutôt cela comme un plaisir conjugal !…..Les joies du mariage !….

Mais que lui restait-il aujourd’hui des joies du mariage ?….Le travail, toujours le travail…..Sa femme retrouvait le sourire lorsqu’il ramenait sa paie à la maison…..Cela se faisait encore à cette époque. N’était-il bon qu’à déposer chaque mois sur la table les billets de banque gagnés à la sueur de son front….. ?

Il ruminait ces sombres pensées lorsqu’il sortit pour se rendre à son travail. Tout en marchant, il se posait des questions. Au bout de quelques minutes, il en était arrivé à la conclusion que sa femme n’éprouvait plus le même attrait que lui !

Il avait vieilli, il se sentait las. Sa femme devait le ressentir aussi. Il lui fallait trouver une idée pour rajeunir …..A défaut de devenir un autre…..tout en restant lui-même, il était indispensable…. essentiel de modifier son apparence fanée.

Il pénétrait à la banque « Duflouze-Dupognon et Cie » où il travaillait dans cette petite ville normande, lorsqu’une idée lui traversa la tête : sa moustache !…….

Eh oui !…. Sa moustache ! Elle avait vieilli comme lui. Elle était devenue poivre et sel…. plus sel que poivre. De plus, elle couvrait maintenant toute sa lèvre supérieure et retombait même sur les côtés. Elle n’était plus soyeuse comme au début. Une moustache de vieux Gaulois défraîchi…..Elle s’apparentait plus à la balayette qu’au plumeau……

Peut-être ne plaisait-elle plus à sa femme !….C’est vrai qu’elle n’était plus aussi soignée !….(la moustache….la femme aussi d’ailleurs !…..)

C’était décidé : il la raserait ! Et pas plus tard qu’aujourd’hui ! Il rentrerait chez lui ce soir différent, rajeuni ! C’était dit.

Il prétexta une migraine (tiens, lui aussi !….) pour sortir plus tôt. Il entra chez un merlan…..je veux dire un coiffeur et demanda de lui raser barbe moustache.

C’est donc totalement imberbe, qu’il sonna chez lui…..pour faire la surprise à sa femme. Elle lui ouvrit, il lui adressa le plus joli sourire qu’il avait sous la main…..Elle répondit de même en baissant les yeux pudiquement. Il osa même lui déposer un baiser furtif sur la joue. D’habitude, cela l’agaçait. Là, pas du tout, au contraire. Elle ferma les yeux de contentement.

Enhardi par cette attitude nouvelle, il entra, la prit dans ses bras et l’embrassa…. plus…. enfin, mieux…..Elle ne résistait pas…. au contraire. Elle semblait ravie.

Par exemple !…. se dit-il, quelle différence ! Eh bien ! J’ai bien fait de raser ma moustache ! Et si….. Peut-être accepterait-elle….. Elle ne semble pas avoir de migraine !…… Une telle occasion ne se représentera peut-être pas !

Il l’entraîna vers la chambre…. Et là…. vous imaginez bien sûr ce qu’ils ont fait. Mais alors là, quelle splendeur !…..Ce fut sublime…. divin…. Bon…Restons correct !… Il n’empêche que voilà pas mal d’années qu’il n’avait pas été à pareille fête !…..

Quand recrus de bonheur et de fatigue ils cessèrent leurs ébats, il s’allongèrent délicieusement et restèrent un moment sans parler, afin de mieux goûter le moment présent. Les deux mains derrière la tête dans une position de total abandon, il dit soudain avec un sourire béat :

-  C’est parce que j’ai coupé ma moustache que ça t’a fait autant d’effet ?…..

Alors elle se redressa d’un coup et s’écria en ramenant pudiquement le drap sur elle :

- Ah !…. Mon Dieu !…..C’était toi ?……..

 

Allez, à plus...

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