L'ÉCHEC DES TENTATIVES SUIVANTES

 

 

Fort de son premier succès, son brevet en poche, Le Bris décida de récidiver fin mars 1857. Cette fois-ci, il était certain de faire encore mieux. Ne voulant pas prendre le risque d'emporter une fois de plus un passager indésirable, il décida de se passer des services du fermier. Il avait observé les oiseaux, posés au sommet d'un mât. Il se jetaient dans le vide, et d'un coup d'aile, retrouvaient leur stabilité et leur aisance. Il pensa pouvoir en faire autant. Son appareil n'était-il pas un gros oiseau qu'il pouvait diriger à sa guise ? Il oubliait une seule chose : l'air était l'élément naturel des oiseaux, pas le sien.

A Tréfenteg justement, il existait une carrière entourée d'une butte d'une quarantaine de mètres. Voilà l'endroit idéal. Il fit installer un portique pour suspendre l'appareil. Le fermier, rassuré de ne pas participer une seconde fois à la conquête de l'air, proposa son aide pour transporter l'engin au pied de la colline. Assuré du succès, Le Bris avait cette fois-ci invité les notabilités à accompagner ses amis. Les inévitables curieux ne voulaient pas manquer ce spectacle prodigieux.

Un palan hissa l'engin et son constructeur jusqu'au portique. Des bras puissants le placèrent face au vent, assez fort ce jour-là.

- Larguez ! cria Le Bris.

Brusquement délivré de l'entrave qui le retenait, l'oiseau géant glissa doucement. Il sembla un moment se stabiliser avant de s'éloigner. Mais il lui manquait la vitesse initiale. Il piqua vers le sol, et soudain se retourna. Dans cette position acrobatique, Le Bris tendait le plus qu'il pouvait ses leviers afin de retrouver son équilibre. Hélas ! Le sol n'était plus très loin. Malgré ses efforts désespérés, devant les spectateurs incrédules, la "voiture aérienne" tomba comme une masse sur le sol.

Ses amis se précipitèrent pour sortir le pilote de cet enchevêtrement de toile et de bois. C'était un miracle qu'il fût vivant, souffrant seulement si l'on peut dire, outre les meurtrissures diverses, d'une fracture du tibia, juste au-dessous du genou. Mais plus que tout, c'est son amour-propre et son moral qui avaient été atteints. Il était blessé dans son orgueil. Quelle idée avait-il eue de faire venir tous ces gens qui n'allaient pas manquer de se moquer de l'homme volant ! Son oiseau était en miettes, il n'avait plus d'argent, ayant été obligé d'emprunter à ses amis pour la réalisation de cette expérience qu'il croyait triomphale.

Sa femme le soigna avec un dévouement digne d'éloges. Les Douarnenistes le regardaient à nouveau comme un hurluberlu alors que son seul tort était d'avoir raison trop tôt.

 

Trois mois plus tard, grâce à sa solide constitution, Le Bris retrouvait son bateau "La Coquette". Mais les novateurs ont toujours été des incompris. Quand le succès est au rendez-vous, les foules les acclament. Mais en cas d'échec, les mêmes foules versatiles leur tournent le dos. Son armateur, certainement instruit de ses déboires, décréta qu'il ne lui faisait plus confiance et lui adjoignit un pilote qu'il devait rétribuer lui-même. C'en était trop pour la fierté de notre homme. Il quitta cet armateur si mesquin et accepta le commandement du sloop "Le Véloce", de Brest, qu'il gardera cinq ans.

Les problèmes financiers étant ainsi réglés, sa femme quitta son commerce. La petite famille s'était agrandie. Elle vint habiter une maison située à Douarnenez, Place des pêcheurs, à deux pas du port.

Elle déménagera au bout de cinq ans pour venir à Landerneau, où Le Bris reçut le commandement d'une autre unité qui faisait la navette entre Brest et Landerneau. Comme il s'acquittait bien de sa tâche, la Compagnie des Paquebots Maritimes et Fluviaux qui l'employait lui confia un nouveau navire plus important. Voilà la petite famille partie pour Brest.

Hélas, la malchance tomba à nouveau sur notre homme. Il perdit en 1865 son père, Michel Le Bris, et en 1866 sa femme, rongée par la tuberculose. Tout autre que lui aurait perdu confiance en l'avenir. Pas Jean-Marie Le Bris ! Il se jeta à corps perdu dans ses travaux aéronautiques qu'il avait un peu délaissés.

Voici dix ans qu'il a effectué son premier vol, dans une indifférence quasi complète. A Paris, on parle de plus en plus de ce qu'on commence à appeler "aviation".

Muni de ses documents, le cœur plein d'espoir, Le Bris se rend à Paris en 1867, et rencontre le fameux Nadar, photographe, aéronaute, dessinateur, écrivain, qui avait réalisé les premières photographies prises d'aérostat. Aérostier enthousiaste, ce personnage haut en couleur avait aussi deviné l'avenir qui serait réservé au "plus lourd que l'air".

Le Bris trouva en Nadar, ainsi que des autres membres de la Société d'Encouragement pour l'Aviation, un encouragement à continuer ses travaux. C'était le moins que cette société pouvait donner ! Le Bris fut déçu car il s'attendait à une aide plus substantielle. La Presse vint indirectement à son secours. Un article, mentionnant sa tentative de Tréfenteg, parut dans "Le Petit Journal" le 22 septembre 1867. L'empereur Napoléon III en eut connaissance, fut intéressé et promit une aide réelle.

On construisait à Brest à cette époque le nouveau port de commerce, Port-Napoléon. Le Directeur des Ponts et Chaussées mit à la disposition de l'inventeur un hangar. De plus, la Marine Impériale lui permit d'utiliser ses ateliers de charpentage. Tout semblait s'agencer parfaitement, d'autant plus que la Compagnie Générale Transatlantique confia à Le Bris le commandement d'un de ses remorqueurs, "La Ville de Nantes".

Il se mit au travail pour construire un second appareil, en tenant compte des difficultés soulevées lors des précédentes tentatives. Il ressemblait au premier albatros. Les commandes avaient bénéficié d'une finition toute particulière car Le Bris avait compris que la stabilité de la machine, sa direction, et surtout le gauchissement des ailes étaient les clés du succès. Cette fois-ci, un jeu de 72 poulies disposées le long des ailes permettait de recevoir et de transmettre correctement et complètement les poussées des leviers. En outre, Le Bris avait réalisé que le centre de poussée de l'appareil variait en fonction de l'orientation de ailes. Il lui suffirait de déplacer un contrepoids suivant les situations de vol. Cette barque ailée avait sensiblement les mêmes dimensions que la première. Elle ne pesait que 42 kilos.

Il ne restait plus qu'à tester ce nouvel oiseau. Cette fois-ci, il ne pouvait échouer. La machine était admirablement construite. Il avait pensé à tout. Il avait été aidé. Mais pour parfaire les derniers réglages, il manquait le "nerf de la guerre". Il dut lancer une souscription publique par l'intermédiaire du journal brestois "L'Armoricain" qui mit en vente des cartes à 5O centimes. Elles permettaient aux acheteurs de venir découvrir l'appareil et de suivre les expériences à venir. On leur avait promis que l'oiseau survolerait le port de Brest et nombreux étaient ceux qui voulaient voir cela.

En février 1868, tout était prêt. L'appareil fut sorti de son hangar et placé sur une charrette dont les brancards reposaient sur le sol, de telle manière que l'avant se redresse face au vent, les ailes inclinées à 40environ.

La chute dans la carrière de Tréfenteg ne lui avait pas ouvert les yeux. Il pensait toujours que la puissance du vent suffirait à enlever l'appareil dans les airs. Il persistait dans son erreur. C'était lors de sa première tentative qu'il avait vu juste. Pour s'envoler, il faut une vitesse initiale afin d'arracher l'engin au sol. L'incident fâcheux du fermier aéronaute l'avait dissuadé d'utiliser cette méthode. C'est dommage ! Il aurait dû persévérer dans cette voie...

 

Je m'étais arrêté à cet endroit il y a plusieurs années lorsque j'ai écrit ce texte, aidé par un document que je m'étais procuré, dont j'ai oublié les références... et que j'ai égaré...

Tout ce que je puis vous dire c'est que Jean Marie Le Bris ne réussit plus jamais et que la première tentative, tout imparfaite qu'elle ait été, restera sa seule réussite et son seul mérite. Mais il avait ouvert la voie à la conquête de l'espace.

Qui maintenant connaît son nom… mis à part quelques Douarnenistes comme moi ? ? ?

Il fallait que ces choses fussent dites, et que vous le sussiez !

Allez, à plus !

 

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