Voici un conte pour reprendre contact...

Il y a de cela très longtemps, vivaient à peu de distance l'un de l'autre deux bûcherons, aussi pauvres l'un que l'autre. N'ayant jamais connu que cet état, ils se contentaient du peu qu'ils possédaient, leur travail suffisant à les faire vivre. Ce qu'on n'a jamais eu ne peut nous manquer !

A force de travail, chacun avait même pu acheter un âne, qui les soulageait en ramenant le bois qu'ils avaient coupé dans la forêt. Vingt années durant, les deux amis travaillèrent ensemble, partageant le même travail pénible et répétitif, sans jamais se plaindre de leur sort. Deux enfants vinrent agrandir la famille de l'un d'eux, ce qui occasionna plus de dépenses. Mais en travaillant encore plus dur, il put élever ses enfants du mieux possible et même donner quelque éducation à son fils.

Un matin d'hiver, il neigea si fort qu'il ne put aller travailler en forêt. Pas de travail, pas d'argent, pas de pain... Le lendemain, il se força à sortir malgré la neige, car sa famille réclamait à manger. Il alla chercher son compagnon, mais celui-ci, après avoir fait trois pas, ne put aller plus loin à cause de la neige, et rentra. Mais le père de famille savait que ses enfants n'avaient pas mangé depuis deux jours. Il lui fallait travailler malgré les difficultés. Il commença bravement à frapper sur les troncs mais très vite ses mains engourdies ne purent tenir sa cognée. Découragé, il s'adossa à un arbre et se lamenta sur son sort. Qu'allait devenir sa famille ? Il n'était plus capable de subvenir à ses besoins, il n'était plus capable de rien ! Il aurait voulu mourir...

A ce moment, une voix sortit d'une haie proche et lui demanda la raison de tant de chagrin.

-Je ne puis plus nourrir ma famille, je ne suis plus bon à rien !

-Et crois-tu qu'en mourant ta famille sera mieux nourrie ?

-C'est vrai, tu as raison. Je dois vivre pour elle si ce n'est pour moi !

-Eh bien, puisque te voilà revenu à la raison, je suis un bon génie, je veux t'aider et te rendre heureux. Dans ton verger, sous un cerisier, creuse et tu trouveras un trésor. Fais-en bon usage, sois bon pour les pauvres, conduis-toi honnêtement et reviens me voir dans un an à la même heure ici même.

D'abord surpris et plutôt incrédule, le bûcheron se dit qu'il pouvait bien chercher ce fameux trésor. Il rentra bien vite et sa femme, le voyant revenir sans bois, se plaignit amèrement, disant qu'il ne lui restait plus qu'à mourir avec ses enfants. Mais le bûcheron lui raconta son aventure et tous deux se rendirent au verger et creusèrent sous le cerisier. On ne l'avait pas trompé : un trésor se trouvait bien à l'endroit indiqué. Ils étaient riches désormais !

Mais au début, ils firent attention de ne pas trop montrer leur richesse, pour ne pas attirer les voleurs. Il continua même à se rendre en forêt comme il le faisait avant. Mais il se lassa très vite de ce travail inutile et décida de profiter pleinement de sa richesse. Il acheta des terres, une maison, et vécut dans l'opulence. Lui qui n'avait connu ni parents ni amis tant qu'il était pauvre, se trouva soudain pourvu d'une grande famille et d'une quantité d'amis...

Au bout d'un an, il se rendit dans la forêt comme la voix le lui avait demandé. Il appelle, une voix lui répond.

-Te manque-t-il quelque chose ? N'es-tu pas heureux comme je te l'avais promis ?

-Certes oui, je le suis ! Cependant, maintenant que je suis riche, je voudrais avoir quelques petits honneurs... Par exemple, j'aimerais être le prévôt du pays...

-Accordé, tu sera prévôt... Cependant, n'oublie pas que tu dois toujours rester honnête et juste ! Et reviens dans un an à la même époque.

Peu de temps après, il fut désigné comme prévôt. Cette dignité lui tourna la tête, il devint arrogant, hautain, regarda les autres avec dédain. En un mot comme en cent, il s'enfla d'un orgueil démesuré qui le rendit inhumain, intolérant, persuadé d'être inattaquable. Il considérait son voisin l'autre bûcheron avec supériorité, et le voyait tous les jours revenir de la forêt ployant sous le poids des fagots. Jamais il ne songeait l'aider ou le faire profiter de sa nouvelle condition. Il passait près de lui, la tête haute, affectant de ne pas le connaître. Est-ce qu'un prévôt allait condescendre à regarder un misérable tel que lui ? Il avait complètement oublié qu'il avait mené une telle vie il n'y a pas si longtemps...

L'année achevée il se rendit dans la forêt comme il le lui avait été demandé. Son ambition avait augmenté avec sa fortune et sa place dans la société. Il demanda pour sa fille la promesse qu'elle épouserait le seigneur du lieu, et pour son fils qui avait fait de bonnes études et était un fin lettré, il réclama un évêché. Eh oui, ne soyez pas surpris, à cette époque lointaine c'était le nec plus ultra... moins maintenant sans doute... Tout lui fut accordé sans qu'aucun reproche ne lui soit fait. Pourtant, vous conviendrez qu'il en méritait de nombreux...

Désormais, son insolence ne connut plus de bornes. L'année suivante, il se rendit dans la forêt, mais ce fut pour insulter son bienfaiteur, déclarant qu'il en avait plus qu'assez d'être obligé de venir ainsi tous les ans quémander, mendier, de nouvelles richesses. Cette démarche était humiliante pour un homme tel que lui... Désormais, il se passerait de son bon génie !

Ce dernier ne répondit rien. L'ingratitude est humaine... certes... Mais laissons faire les choses, pensa-t-il...

Quelques mois plus tard, le roi demanda à tous ses vassaux de le soutenir dans une guerre qu'il voulait entreprendre contre un seigneur félon. Notre prévôt, gonflé d'orgueil, refusa d'aider son suzerain. Là, il avait franchi le pas de trop... Le roi, fort en colère, lui enleva sa charge de prévôt, le dépouilla de toutes ses terres, ainsi que toutes ses richesses. Notre homme redevint aussi misérable qu'il l'était avant, et fut obligé de reprendre son ancien métier, ne pouvant recevoir aucun secours de ses enfants, partis pour des pays lointains. Quant à ses prétendus amis, bien entendu, il ne s'en trouva aucun pour lui venir en aide...

Il fut abandonné de tous, mis au ban de la société, et mourut seul, comme un pestiféré. Pendant ce temps, l'autre bûcheron, qui était resté travailleur et honnête, vécut estimé de tous, soutenu par ses amis qu'il avait fort nombreux...

 

-Vous devinez la leçon qu'on peut tirer de ce conte ?

-Il faut être toujours bon avec les autres...

-Sans doute... mais ajoutons encore deux conseils : gardons-nous d'un trop grand orgueil, et sachons nous contenter de ce que nous avons... L'orgueil et l'envie sont deux vilains défauts ! (mais pas les pruneaux … comme le disait une pub voici quelques années...)

 

Allez, à pus...

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