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Ils arrivèrent à la gare et se précipitèrent vers le train qui les attendait : un MV composé d'une voiture «  Bains de mers  » 1ère et 2è classes, reconnaissable à sa caisse à eau en toiture, pour l'alimentation des toilettes, une autre de 3è et un wagon de marchandises, que tirait une vieille connaissance, la 230 T. Le Goff grimpa dans la partie 2è classe, suivi de son adjoint, tandis que le chef de gare qui n'attendait qu'eux agitait son drapeau. Le train démarra doucement.

-  Tu montes en seconde maintenant? fit Gonidec surpris. Et les deniers de l'Etat ?

-  Tsstt  ! Nous sommes en service commandé  ! Tu t'imagines nos escrocs avec leurs beaux habits montant dans des 3è ? Non évidemment  ! Alors, nous devons prendre des secondes, ou même des premières, pour mieux les surveiller  !

-  Je comprends  ! Nous sommes obligés de nous asseoir sur ces fauteuils confortables alors que des bancs en bois auraient parfaitement convenu  ! Ah  ! C'est parfois dur de faire son devoir  !

Le train avait laissé la ligne à voie normale de Quimper et traversé la route de Crozon qu'il longea en direction de l'ouest. On pouvait admirer sur la droite l'embouchure de l'Aulne et la rade de Brest. Voici déjà Plomodiern, dont le Bâtiment Voyageurs, de construction récente, se remarquait par son architecture typiquement bretonne  : toiture en ardoises, pierres d'angle en granit et cheminées frontales.

-  Admire cette belle gare  ! fit Le Goff. Au moins, elle ne dépare pas dans le paysage  !

-  Je croyais qu'on ne faisait pas de tourisme  ! lança Gonidec avec une pointe d'ironie.

-  Non, mais on peut regarder  : ça permet de penser moins  !

-  Tu es inquiet  ?

-  J'espère que mon plan va se réaliser  !

Le train était reparti et dominait maintenant la magnifique baie de Douarnenez.

-  Je vais mettre tes conseils en pratique  ! J’admire  ! C'est quand même joli  ! La plus belle baie du monde…

-  Oui, c’est ce que prétendent les Douarnenistes qui ne sont pas chauvins pour deux sous…

-  Mais la Bretagne est pleine de «  plus belles baies du monde  »  !

-  Tu ne serais pas chauvin, toi  ?

-  Quelle idée… Les Bretons n’ont pas besoin d’être chauvins  !

-  Je ne veux pas te contrarier car cela pourrait durer longtemps et justement, le temps nous est compté. Regarde plutôt  ! Le temps est dégagé. Froid, mais ensoleillé. La neige a disparu. Au fond, n'est-ce pas la Pointe du raz et l'île de Sein  ?

-  Tu dois avoir raison  !

Le convoi reprit sa route. On approchait. Les deux inspecteurs étaient tendus. Après un crochet en direction du nord, il traversa la route de Crozon qu'il longea un moment.

-  Attention ! Voici Telgruc  !

Le train ralentit et s'immobilisa le long du quai. Les deux hommes détaillèrent les quelques voyageurs qui attendaient.

-  Les voilà  !

Ils les auraient reconnus entre mille  ! L'homme jeta négligemment la cigarette qu'il fumait.

-  Ce n'est pas étonnant s'il tousse, fit Gonidec entre ses dents.

Le couple se dirigea effectivement vers la voiture «  Bains de mer  », mais monta du côté des premières.

-  On ne se refuse rien  !

-  C'est facile, avec l'argent des autres  !

Comme il n'y avait pas de séparation entre les secondes et les premières, les deux inspecteurs pouvaient les voir sans être vus, car le couple leur tournait le dos.

-  On ne les quitte pas des yeux  ! glissa Le Goff à Gonidec.

-  Compris, chef  !

La secousse du départ dut surprendre les nouveaux voyageurs, car l'homme, qui avait sorti une petite boîte ronde, laissa tomber quelques boulettes noires qui roulèrent sous les sièges.

-  Quel maladroit  !

-  Chut  ! C'est grâce à sa maladresse que nous avons pu le suivre et arriver jusqu’à lui  !

Après avoir traversé l'Aber, le convoi ralentit pour grimper une rampe qui l'amena à Tal-ar-Groas, en plein centre de la presqu'île. Les deux jeunes gens regardaient la baie de Douarnenez, encore plus belle sous le pâle soleil d'hiver. Ils se parlaient à voix basse.

-  Que se disent-ils  ? chuchota Gonidec.

-  Elle doit lui dire que c'est beau  !

-  Ils parlent peut-être d’amour  !

Le train arriva à Crozon où il s'arrêta. Il roulait depuis bientôt une heure et demie, il devait faire le plein d'eau pour pouvoir continuer. Cela demanda quelques longues minutes au bout desquelles il repartit de son allure poussive, ponctuée par des tch-tch réguliers.

-  Ces trains ont toujours soif  ! On devrait les remplacer par des chameaux  !

Le Goff lui donna un coup de coude pour le faire taire, car l'homme s'était levé. Avait-il l'intention de leur fausser compagnie  ? Et si son beau plan allait s'écrouler comme un château de cartes  ? Ils se raidit, mit la main sur son arme... Mais l'homme se dirigeait tranquillement vers les WC situés au milieu de la voiture. Ils purent apercevoir son visage qu'ornait effectivement une fine moustache. Ils parurent s'intéresser vivement au paysage, et il ne fit pas attention à eux. Il sortit au bout de trois minutes, pour laisser la place à la femme. Son visage était caché par une voilette à résilles.

-  C'est un beau couple  ! murmura Gonidec. Ils ne peuvent parler que d’amour  !

-  Pour le moment, ce ne sont que des contrevenants  ! Des voleurs, qu'il nous faut arrêter. Tout le reste n’est que de la littérature  !

Le convoi se dirigeait vers la gare de Perros-St Fiacre où avait lieu la bifurcation vers Le Fret. Il ralentit tandis qu’un coup de sifflet bref prévenait l'aiguilleur-chef. Il actionna le lourd levier qui modifiait l’emplacement des rails, le train bifurqua sur la droite en direction du Fret. On approchait. Vers 12h15, il s'immobilisa devant la gare. Le couple se leva et sortit sur le quai.

-  On y va  ! glissa Le Goff. Ayons l'air naturels  !

-  Ce sera dur  !

 

(A suivre)

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