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Un quart d'heure avant le départ, le train vint se ranger le long du quai. Il s'agissait d'un train "marchandises-voyageurs", plus communément appelé MV, tiré par une 230 T portant le NE 326. Ces machines formaient avec les 120 T dites «  coureuses  », et les Mallet 020+020 T et 030+030 les vedettes de l'escadron roulant du parc de locomotives du Réseau Breton à voie métrique.

Les deux policiers se présentèrent vers 7h34, tout essoufflés, et montèrent dans une voiture de 3è classe aux sièges en bois rigides et inconfortables. La neige recouvrait tout, tandis qu’un vent glacial les transperçait.

-  Brrr  ! fit Gonidec en s'assoyant.

-  C'est le mot  ! répondit laconiquement son compère.

-  Tu auras remarqué que je me suis installé pas trop loin du chauffage  ! fit-il en montrant le poêle à charbon placé au centre et qui dispensait une chaleur, timide certes, mais néanmoins appréciée en cette froide matinée d'hiver.

A l'heure précise, le train s'ébranla.

-  On n'attendait plus que nous  ! Tu connais Châteaulin, toi  ? fit l'intarissable bavard.

Pour ne pas lui répondre, l'Inspecteur Le Goff avait rabattu son chapeau sur les yeux et affectait de dormir. Un peu plus de dix minutes plus tard, le train s'immobilisa  : Port-de-Carhaix.

-  Eh  ! fit Gonidec en secouant son chef, on s'est trompé de train : on retourne à Rosporden  !

-  Mais non, répondit l'autre sans bouger. Jusqu'ici, les deux lignes sont communes.

-  Ah  ! Je me disais aussi  ! J'avais reconnu le paysage et croyais que nous partions à reculons  !

Le train était reparti et bifurqua vers l'ouest, laissant la voie de Rosporden descendre vers les Montagnes Noires. Il longea sur sa droite le canal de Nantes à Brest, creusé au XIXè siècle, et s'arrêta à la halte de St Hernin-Cléden-Poher au bout de dix minutes.

-  Comme d'habitude, on construit les gares, ou les haltes, entre deux villes  ! Cela permet, dit-on, de les desservir toutes les deux. Mais il faut marcher avant d'avoir le droit de s'asseoir dans un wagon  !

-  Dans une voiture  ! rectifia l'enfant du rail, pas dans un wagon  ; cette appellation est réservée aux fourgons destinés au transport des quadrupèdes et autres animaux. Mais pour répondre à ta question, oui, on essaie de satisfaire tout le monde. Mais si le bourg de St Hernin n'est qu'à 1,8 km, celui de Cléden a moins de chances puisqu'il se trouve à 2,6 km. Et encore, les Clédénois doivent franchir le canal pour se rendre à la gare.

-  Eh bien, ça les promène  !

-  Non  ! Ça les mouille  ! Il n'y a pas plus de pont que de passerelle  !

-  Que font-ils alors, s'ils ne veulent pas traverser à la nage  ?

-  Ils se rendent à Pont-Triffen, où ils sont plus près de la gare de Spézet-Landeleau.

-  Ce n'est pas banal  ! Ils ont une gare, et ne peuvent pas l'utiliser  ! Le progrès sans doute  !

Pendant ce temps le train continuait sa route et atteignait la gare de Spézet-Landeleau, puis le Pont-Triffen sur l'Aulne canalisée.

-  Un joli pont  ! Il n'est pas très haut  !

-  Pourquoi le serait-il  ? Il ne passe pas de transatlantiques en dessous  !

Peu de temps après, le train s'arrêta dans un crissement de freins en gare de Châteauneuf-du-Faou. La locomotive avait grand besoin de faire de l'eau.

-  8h32  ! fit Gonidec. Que c'est long  !

-  Estime-toi heureux de ne pas prendre le «  train patate  »  !

-  Tu me prends pour un légume  ?

-  Non  ! Mais le train Plouescat-Rosporden, qui croise le nôtre ici même, est ainsi appelé à cause de sa lenteur poussive. Il est d'ailleurs question de le supprimer.

-  C’est le progrès ! Il faut aller vite  ! Tiens  ? Déjà le départ ? Ma parole, on nous bouscule  !

Le convoi était entré dans le bassin de Châteaulin. Il traversa la halte de Langalet et arriva bientôt en gare de Lennon.

-  Encore une gare en pleine campagne  ! Je ne vois pas de ville  !

-  Ne la cherche pas  : elle se trouve à 3 km plus au sud  !

-  C’est quand même bizarre, cette habitude de construire des gares en rase campagne…

-  Tu sais bien que le train ne peut pas passer partout. Là où il y a 10 km à vol d’oiseau, il en ferait le double  ! Alors, on essaie de composer avec le terrain, et les voyageurs.

-  Alors, composons  ! Attention au départ  ! Je me cramponne  !

Au bout d'une dizaine de minutes, les deux clochers de l'église St Germain de Pleyben se profilèrent à l'horizon.

-  Il paraît que le calvaire de Pleyben est le plus imposant de Bretagne  !

-  Oui, mais sa visite est reportée à un autre jour  : une enquête nous attend  !

- C'est pourtant vrai  ! Je n’y pensais plus  ! C'est curieux comme j'ai des pertes de mémoire actuellement  !

Mais avant de descendre sur Châteaulin, il fallut encore faire un crochet au nord par St Ségal.

-  Que de tours et détours  ! Ils ont du mal à «  composer  »… On doit parcourir le double de kilomètres  !

- Pas tout à fait  ! Mettons dix kilomètres de plus que par la route ! Mais nous avons le temps d'admirer le paysage  !

-  Et d'être ankylosés  !

Le convoi descendait maintenant vers Port-Launay, véritable port de Châteaulin, autrefois très actif. A 9h33, il s'immobilisa à Châteaulin-ville.

-  C'est là que nous descendons  ! dit Le Goff.

-  J'aurais voulu passer sur ce magnifique viaduc courbe que je vois là  !

Les gendarmes les attendaient. Ils leur donnèrent les résultats de l'analyse des fameuses petites boules noires et signalèrent que les empreintes de roues avaient été transmises aux brigades de la presqu'île de Crozon, chargées d'intercepter les 201.

-  Il paraît que ce sont des cachous  ! On en prend lorsqu'on a la gorge irritée  !

-  Cela ne nous avance pas beaucoup  ! Si nous devions contrôler tous ceux qui toussent  !

-  Nous les arrêterions... tous  !

(A suivre...)

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