Qui connaît maintenant Jean de la Varende ? ? ? C'est un écrivain français et son œuvre est à mettre dans la lignée de celles de ses maîtres en lettres, notamment Barbey d'Aurevilly, surnommé  le « Connétable des Lettres », et même Flaubert,, également normands. Excusez du peu...

Son œuvre romanesque n'est pas non plus négligeable, bien qu'elle soit négligée...

Voici un  texte que j'avais écrit pour l'almanach du Normand 2008, en y ajoutant ma touche personnelle, comme je le fais chaque fois.   Je le dédie aux amateurs des  "Belles Lettres"...

J'ai trouvé la matière de mon article dans l'excellent livre d’Anne Brassié, éditions Perrin : « La Varende, pour Dieu et le roi ».

 

Quand La Varende a publié « Nez-de-cuir » en 1936 puis « Le Centaure de Dieu » en 1938, il a dressé le portrait d’une grande figure du Pays d’Ouche en y mettant un peu de lui, et même plus puisqu’il s’est parfois identifié à Nez-de-cuir. Il a voulu traduire la vie telle qu’elle est réellement. « Celui qui veut rendre la vie, disait-il, qu’il y apporte sa vie ».

Mais ses confrères réagirent diversement à ces œuvres. Les réactions négatives furent les plus nombreuses. « Il m’est impossible de m’intéresser à un mutilé ; cela me fait vomir » (André Bellessort, critique littéraire, qui venait jute d’être élu à l’Académie Française en 1935, mais que personne ne connaît plus, alors que La Varende…). La plupart des critiques portaient sur ses « indifférences grammaticales » (André Thérive, romancier et critique littéraire).

Voilà la faute majeure de La Varende d’après les puristes (ou les jaloux…) : « Il écrit en charabia (…) Pourquoi ne pas traduire en français ce D’Annunzio de Basse-Normandie ? » (Roger Nimier). Comparer La Varende à D’Annunzio…il fallait le faire !... On parlera encore du style « broum broum » de La Varende…

Il répondra dans une lettre à Georges Bordonove : « Toujours la VIE. Écartez l’essai. Nous en crevons. Pensez vivant, parlant, gesticulant. Ce style subit une éclipse mais c’est le style français. » Oui, pour lui il fallait écrire « vrai ». C’est ce qu’on lui reprochait. Pourtant, quand on y réfléchit, celui qui écrit des phrases parfaitement bien ciselées dans un langage châtié risque peut-être d’ennuyer le lecteur… Il est parfois utile de bousculer l’ordre naturel des mots et peut-être la syntaxe même pour rendre le récit plus vivant, plus près de la réalité, c’est à dire plus vrai.

Et cela, La Varende sait le faire ! « Le bon style pour un artiste, pour un vrai lettré, écrit-il dans son Journal, est celui qui parvient, qui attire et frappe. » Oui, frapper le lecteur, c'est-à-dire l’intéresser, le plonger dans un univers à la fois magique et vrai d’où il ne ressortira que le livre lu. A quoi cela sert-il d’écrire si ce n’est pour être lu ?...

Ecrire pour soi-même, pour se faire plaisir, ou pour donner du plaisir aux autres ? Le choix est là !

Et La Varende s’y entend pour frapper ! Il ressort les archaïsmes en disant par exemple « on me l’a acertainé » plutôt que « on me l’a certifié ». Il utilise le patois, use du régionalisme, avec une jubilation certaine. Mais quand on fait parler des Normands, surtout à cette époque (il y a quand même 70 ans de cela !...), il ne s’agit pas de mettre dans leur bouche un langage académique, cela aurait sonné faux, mais plutôt le patois que tous utilisaient couramment.

Quelqu’un qui demande par où aller dira : « Par où qu’c’est-ti qu’faut que j’vas-je ? »…et non pas « Par où faudrait-il que j’allasse ? » (allez... on accepte que j'aille...). Quand on décrit des personnages du cru, on leur attribue un langage du cru, le leur, celui de tous les jours, et non un langage artificiel à l’usage des puristes ! Un autre exemple ?

Un vieux paysan est abandonné par sa (très…) jeune femme. De colère, il promet qu’il lui administrera une scionnée (des coups de cravache), une grattée, une trimpe (trempe), une drinchée (averse… de coups sans doute). Son interlocutrice lui répond : « Allons, Maître Aubert, vous la biscoterez encore, allez, à son premier mot ! » Il répond alors :

- « Dans la sieute (la suite), p’têt’ ben… On ne sait jamais ave la fumelle ; près d’elle on dit, on redit, on s’daidit !... »

Une conversation courante en Normandie… Mais pour certains écrivains, le langage noble était la norme, tel celui d’Anatole France (vous lisez beaucoup cet auteur ?... Pourtant, il fut un maître… à une époque…), langage tout en harmonie et en pureté. La Varende bouleverse cet équilibre savamment fignolé avec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. C’est sûr : cela ne plaisait pas à tout le monde !

Pourtant, rappelez-vous : déjà Rabelais écrivait ainsi. Mais comme c’est du vieux français, on s’en aperçoit moins. On dit : Ah ! c’est du vieux français… donc c’est permis ! Et La Varende aime bien Rabelais… on s’en doute. Il dit dans son Journal : « Rabelais joue sur les mots pour en tirer une sorte de griserie débagoulante. »

Ou bien il escamote les pronoms devant les verbes. Mais c’est pour mieux rendre la hâte des gens pour ramener Nez-de-Cuir chez lui : « Se trompèrent de chemin en voulant couper après Pacy ; se trouvèrent devant Grossoeuvre où le père Vitermont sortit lui-même pour leur bailler du vin ».

On aura (peut-être…) remarqué qu’il use du point-virgule, complètement oublié de nos jours. Il est inutile, dit-on. Un point, oui. Une virgule, certes. Qu’a-t-on besoin du point-virgule ?... Lisons-le défendre ce signe, dans « Grands Normands » : « Goûtons ici, l’emploi artiste du point-virgule ; ses coupures brèves, moins longues qu’un point, plus longues que la virgule, aident admirablement à percevoir l’automatisme, l’allure saccadée du hidalgo ».

Eh oui ! Tous les signes de ponctuation sont utiles ! Tous ! Lisez ceci :

Jacques, dit Georges, est un imbécile.

Jacques dit : « Georges est un imbécile ».

Enlevez la ponctuation. Qui est l’imbécile ?... Vous ai-je convaincu ?...

En résumé, La Varende est bien un artiste de l’écriture dans son sens premier. C’est un artisan qui forge ses phrases et les martèle… les cisèle, comme un forgeron de campagne. Son style particulier n’avait certes pas la rondeur académique des phrases distillées par des puristes… qu’on ne lit plus guère… tandis qu’il est toujours d’actualité. Avec l’acuité d’un peintre, il a voulu faire rêver son lecteur et lui montrer la beauté du monde, parfois aussi sa dure réalité, mais toujours sa vérité.

 

Allez, à plus !

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