Une nuit, j'ai rêvé à un petit animal qui s'appelait Bamba. Ce devait être un chevreau. Il lui arrivait des aventures que j'ai oubliées depuis, mais je me souviens qu'à la fin je disais : "et Bamba pleurait".

En me réveillant, à partir de cette fin, j'ai commencé à écrire l'histoire dans ma tête et pour être plus sûr de ne pas l'oublier, je me suis empressé de la taper sur mon ordinateur.

Je vous la livre en primeur...

 

 

 

Cette nuit, la Blanchette, la chèvre de la ferme voisine, avait eu trois chevreaux.

Le petit Jacques, qui habitait tout près, n'avait pas pu résister au désir d'aller les voir. Un lui plaisait particulièrement. Il était tout blanc et tentait vainement de se tenir sur ses pattes. Cette blancheur le faisait distinguer de ses frères... ou sœurs. Il le caressait doucement et le fermier lui dit  :

-Il te plaît  ? Eh bien, je te le donne  !

-A... à moi tout seul  ?

-Oui, à toi tout seul.

Comme les parents de Jacques se récriaient, il ajouta  :

-Le sacrifice n'est pas bien grand : c'est un mâle, les deux autres sont des femelles qui m'intéressent bien plus  ! Mais vous allez devoir attendre une semaine, car il lui faut encore le lait de sa mère.

Une semaine plus tard, le petit Jacques emmenait triomphalement son chevreau chez lui.

Comme il était joli, le petit chevreau de Jacques, avec la fente rectangulaire de ses yeux luisants, sa barbichette de caporal-chef de carrière, ses cornes lustrées comme si elles avaient été cirées, ses petits sabots qui claquaient déjà sur le carrelage de la salle, son poil long et soyeux. (Je crois avoir déjà lu quelque chose de ressemblant quelque part...).

Comme il était tout petit, il pouvait se promener librement dans la maison sans trop déranger.

-Il lui faut un nom, dit maman. Comment vas-tu l'appeler  ?

Jacques fronça les sourcils, réfléchit et lança soudain  :

-Je l'appellerai Bamba  !

Personne ne lui demanda la raison de ce nom qui en valait bien un autre  !

-Va pour Bamba se dit la mère. De toute façon, quand il sera grand, il faudra bien qu'il parte  ! On ne va quand même pas garder une chèvre dans la maison  ! En grandissant, elle pourrait occasionner quelques dégâts  !

-D'autant plus, ajouta finement le père qui avait des lettres, que je ne suis pas Monsieur Seguin  !

Jacques soignait bien son chevreau et le prenait fréquemment dans les bras. Le petit animal aimait cela mais ce qu'il aimait pardessus tout c'était de suivre le garçonnet partout où il allait. C'étaient deux amis inséparables. Quand Jacques s'absentait, le chevreau bêlait tristement et ne s'arrêtait que lorsqu'il revenait.

Bientôt Jacques remplaça le lait par une bonne herbe bien tendre en y ajoutant parfois à la saison quelques fleurs de cytise dont les chèvres sont friandes. Les mois passaient et le chevreau devenait de plus en plus grand et fort. Cela faisait maintenant deux ans que l'animal était chez lui. Jacques ne pouvait plus le prendre dans les bras. L'animal courait partout dans la maison et renversait tout sur son passage. Ses cornes n'épargnaient aucun des bibelots  fragiles que la mère avait parsemés un peu partout sur différents meubles.  Il faisait un tel ravage qu'un jour, elle  dit à Jacques  :

-Cela ne peut plus durer  ! Ce chevreau est devenu trop grand  ! Il casse tout dans la maison ! C'est un bouc maintenant  ! Et je ne parle pas de l'odeur  ! Il existe trois solutions  : le donner, le tuer, ou si tu veux le garder, l'enfermer  !

Au mot de «  tuer  », Jacques avait poussé un cri.

-Non... pas le tuer... Je veux le garder.

-Alors, il faut lui construire une petite cabane. Il y a de la place dans le jardin.

C'est ainsi qu'une semaine plus tard, Bamba se retrouva enfermé dans un cabanon sombre et assez exigu. Il n'existait qu'une étroite fenêtre fermée par un volet. Pour un animal habitué à la complète liberté et à l'air libre, le changement fut rude. Il gesticula, sauta comme un cabri qu'il était, envoya de violents coups de cornes dans la porte. Mais c'était du bois solide, rien n'y faisait, pas plus les coups de cornes que les ruades. Il se fatigua. Il se tint immobile dans un coin de la cabane, refusant le foin que l'enfant lui apportait régulièrement, du moins en sa présence. On ne peut jurer qu'il n'en mangeait pas un peu quand il était parti...

Jacques venait tous les jours lui apporter du foin, espérant qu'il se laisserait tenter par son odeur délicieuse. Elles étaient loin les fleurs de cytise  ! Mais l'animal refusait obstinément toute nourriture quand l'enfant était là. Un jour que le jeune garçon arrivait avec une grosse brassée de foin, il lui dit  :

-Tu vois mon pauvre Bamba, je suis obligé de t'enfermer car tu es trop vif  !

Le bouc regardait l'enfant tristement et Jacques remarqua de grosses larmes qui coulaient.

Oui, Bamba pleurait  ! Il pleurait silencieusement, douloureusement. Ces larmes fendirent le cœur du jeune garçon. Il alla voir sa mère et lui dit  :

-Bamba ne peut pas rester ainsi enfermé  ! C'est trop dur pour lui et pour moi  ! Il ne mange plus, il se laisse dépérir. Je préférerais le voir mort ! Et lui aussi sans doute !

-Il y a peut-être un autre moyen, dit la mère. Nous allons le conduire loin d'ici et nous le laisserons dans un champ où il y a des chèvres. Ainsi, il ne sera pas perdu et le propriétaire ne s'apercevra pas qu'il a un animal de plus. Cela est préférable à la mort.

Ce qui fut dit fut fait. Un dimanche, ils partirent en voiture et s'enfoncèrent dans la campagne. Au bout d'une centaine de kilomètres, ils trouvèrent un champ vallonné dans lequel gambadait un troupeau de chèvres, les mêmes que Bamba. Ils y menèrent le jeune bouc qui à la vue de ses semblables se laissa faire facilement. Les adieux, que Jacques avait redoutés, furent ainsi facilités. Puis ils partirent rapidement pour ne pas que Bamba s'aperçoive de leur absence. Mais le bouc avait déjà rejoint quelques chèvres et batifolait avec elles dans l'herbe grasse.

Au retour, c'est Jacques qui pleura...

Voilà... Allez, à plus...

 

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