Voici le préambule de mon 5è ouvrage : "Un soldat de l'ombre" sous titré "Chroniques souriantes des années grises, 1939-1945".

Il vous permettra de vous faire une idée sur le contenu du livre. Comme tous mes livres, il est composé d'anecdotes qui reconstituent le quotidien de ces années d'Occupation pour une famille française parmi d'autres.

 

 

 

 

En juin 1940 la France terrassée, vaincue, s’est abandonnée à un vieux maréchal octogénaire dont le passé tenait lieu d’avenir. Mais sa bonhomie et surtout son rôle glorieux pendant l’autre guerre rassuraient. Quelle chance prêter à un obscur général (à titre temporaire) de 50 ans qui, seul contre tous, lançait des paroles d’espoir ? Peu de personnes les avaient entendues mais ce n’était pas « une voix qui crie dans le désert », comme le Négus en son temps lorsqu’il alertait –vainement- la Société des Nations….de l’invasion de son pays, l'Éthiopie, par l’Italie de Mussolini.

Commençait alors l’une des périodes les plus sombres de notre histoire. Nous n’avions pas été vaincus parce que nous étions moins courageux que nos ennemis, moins armés, moins ceci ou moins cela. Non ! Notre armée valait largement l’armée allemande. Notre armement n’était pas inférieur. Les chars français étaient parmi les meilleurs du monde : fort blindage et solide armement permettant de traverser la cuirasse des panzers grâce à leur canon de 75 ou de 47 suivant les modèles. Alors ?...

Peut-être avions-nous de cette armée un sentiment exagéré de supériorité et pensions que rien ne pouvait lui résister….

Peut-être nos généraux en chef étaient-ils restés avec les principes défensifs de la dernière guerre, de même que le "bidasse" de base était encore habillé comme en 1918… Peut-être la pesanteur administrative et l’esprit tatillon typiquement français, qui s’exercent bien souvent au détriment de l’efficacité, étaient-ils des obstacles insurmontables… Peut-être n’avait-on pas écouté avec suffisamment d’intérêt les paroles prophétiques d’un colonel inconnu qui préconisait l’emploi massif des chars… Les Allemands en ont tiré la leçon, eux… En effet le colonel de Gaulle écrivait : «  Nous avons un matériel excellent, il s’agit de l’organiser comme l’emploient les Allemands et nous aurons la supériorité sur eux »… Mais ces conseils de bon sens sont rejetés par nos stratèges : « Les conclusions du colonel de Gaulle sont à rejeter. » Exit de Gaulle !... Nous le retrouverons…

Eh oui… Peut-être bien que… ou que… Il existe cent et une raisons de notre défaite. Il est toujours facile de savoir… après ce qu’on aurait dû faire… avant. Et puis, n’avions-nous pas la ligne Maginot ?... Infranchissable… mais non incontournable… C’était se cacher derrière son petit doigt ! Oui, nous étions aveuglés par notre force… théorique. Une mesure concrète fut prise alors : munir les voitures françaises de phares jaunes. Ainsi On verrait arriver les Allemands, dont les voitures portaient des phares blancs… Idée subtile et… typiquement française !...

Mais mon propos n’est ni de juger ni de condamner, mais de témoigner de la réalité.

Durant ces cinq années terribles, vont cohabiter des héros avec des salauds, des martyrs et des bourreaux, des escrocs et des patriotes, des trafiquants et des honnêtes gens, des résistants et des indifférents. Et si à l’heure de la libération tous se prétendront résistants, bien peu se vantaient d’une telle appartenance lorsque les bottes à clous commençaient à marteler le pavé de nos villes !

Il fallait bien vivre… ou essayer, jongler avec les tickets de rationnement. Les Français étaient globalement répartis entre les E (moins de 3 ans) et les V (plus de 70 ans), en passant par les J ( enfants et adolescents) et les A (de 21 à 70 ans). Encore faut-il préciser qu’il existait des variantes suivant la situation professionnelle ou l’état de santé. En résumé, ce rationnement accordera grosso modo la moitié des calories indispensables à une bonne santé. Mais pendant cette période, pas de cholestérol ! On avait des produits « light » en permanence. Quelle chance !... Signalons quand même que ces tickets de rationnement subsisteront jusqu’en 1949…

On a beaucoup écrit sur cette période, on a rarement parlé des humbles, des obscurs, « des petits, des sans grade »… L’obscurité n’a jamais intéressé personne ! Pourtant, la vraie France était là, avec ses gens modestes qu’on remarquait à peine.

Pierre faisait partie de ces gens discrets qui n’avaient pas accepté la défaite. Mais que pouvait-il faire ?... Résister seul dans son coin n’est ni utile ni efficace. Aussi, avec des amis sûrs, il s’est engagé dans la voie de la résistance. Sur les ordres de ses chefs, il a accepté de s’engager dans un mouvement pro-allemand afin de mieux savoir ce qui s’y tramait, avec l’assurance, lui a-t-on affirmé, que ce serait connu en haut lieu, c'est-à-dire Londres. Ensuite, il a fait partie du BCRA, le bureau de renseignements gaulliste.

Mais qui le savait, à part ses chefs et les illuminés comme lui ?... Durant les années d’occupation, il a si bien joué son rôle à double face que s’il a échappé à la Gestapo, il n’a pu éviter la police française venue l’arrêter à la libération comme collaborateur ! Un comble ! On avait oublié de prévenir « les instances supérieures » qu’il s’était affilié à ce mouvement pro-allemand sur ordre de ses chefs et non de sa propre initiative… Il a été libéré peu après mais n’a jamais accepté ce qu’il considérait comme un déshonneur ! On peut le comprendre. Il a traversé la guerre sans bruit, mais s’est fait "piquer" à la sortie !

Peu de gens connaissaient ses activités clandestines. Sa famille, si elle soupçonnait quelque chose, ignorait ce qu’il faisait réellement. Certains le prenaient réellement pour un collaborateur, même parmi d’autres mouvements de résistance. Ah ! La vie n’était pas rose à cette époque ! Il fallait se méfier autant de ses amis que de ses ennemis ! Il a fait partie de ceux que Gilles Perrault a appelé "les espions-balais", ceux qui transmettent tout ce qu’ils voient ou entendent, sans savoir si le renseignement sera utile ou pas. Le général Eisenhower saura rendre justice à ces combattants de l’ombre sans qui la victoire aurait sans doute coûté plus cher.

Aussi, à la libération, il n’a pas cherché les honneurs. Il n’a même pas protesté contre les combattants de la dernière heure qui s’appropriaient toute la gloire. Non. Il n’avait fait que son devoir. Savoir qu’il avait sans doute sauvé des vies lui suffisait.

Plus tard il a écrit, avec humour (mais un humour grinçant…) :

« Ma poitrine supporte vaillamment l’absence de décorations, car mon travail ne consistait pas dans une attente de récompense. »

Puis-je ajouter un mot : le travail bien fait ne porte-t-il pas en lui la meilleure récompense ?...

A travers ses aventures et mésaventures, ce livre raconte la vie d’une famille française à Douarnenez entre 1939 et 1945, ma famille, car il s’agit de mon père, avec ses moments pénibles, émouvants, tragiques, mais aussi cocasses car la drôlerie se cache parfois dans les situations les plus dramatiques.

Il ne s’agit nullement de l’histoire de Douarnenez entre 1939 et 1945. Non, d’autres l’ont fait bien mieux que moi . Si j’ai utilisé ce qui a été écrit sur le sujet, notamment pour les dates principales qui avaient échappé à l’enfant que j’étais alors, j’ai surtout puisé dans mes souvenirs personnels, dans le peu qui m’avait été raconté par mon père, et dans ma réflexion d’adulte lorsque je me suis vraiment intéressé à cette saga familiale, réflexion étayée par tout ce qui a été écrit depuis sur cette période tragique. Mon frère Jean-Pierre, né après la guerre mais qui a aussi eu l’occasion d’entendre des anecdotes racontées par notre père ou notre mère m’a rappelé certains souvenirs qui m’avaient échappé.

C’est aussi l’occasion de rappeler comment nous vivions à cette époque de restrictions. Plus qu’un documentaire, c’est une tranche de vie, de notre vie, avec ses sueurs et ses larmes, mais aussi ses rires.

Plus qu’un récit structuré, et il s’agit de petites anecdotes prises au jour le jour, en respectant quand même une certaine chronologie (car 1939 se situe bien avant 1945 !...). Dans cette optique, le livre comprend trois grandes parties : avant, pendant, après. A travers ces souvenirs, c’est une autre façon de vivre qui renaît. L’insouciance des années 30 a laissé la place à l’inquiétude du lendemain vers la fin de la décennie. Et pour ceux qui ne voulaient pas accepter la défaite c’était l’angoisse des petits matins où la Gestapo frappait à la porte.

Au fond, c’est l’occupation vue par et à travers mes yeux d’enfant qui ne pouvaient pas tout comprendre. Un prisme déformant qui ne montrait que la partie amusante des événements qui se déroulaient devant moi. L’insouciance de la jeunesse, alors que des adultes risquaient leur vie, à commencer par mon père…

L’enfant a grandi, il a compris bien des choses, et maintenant il se propose de vous raconter sous forme d’histoires une période qui n’avait rien de banale ! Cette histoire fut certes exaltante, mais combien dangereuse !

"Vivre et survivre à Douarnenez entre 1939 et 1945", telle aurait pu être notre devise…..Lutter pour survivre, pour ne pas sombrer dans le néant……Voilà bientôt 70 ans que ces faits se sont produits. La plupart des acteurs sont morts depuis. J’avais gardé tous ces souvenirs dans ma mémoire avec l’idée de les écrire un jour.

Je dédie donc ce livre à mon père et tous les héros obscurs comme lui, sans qui nous ne serions peut-être plus des êtres libres……

 

("Un soldat de l'ombre", chroniques souriantes des années grises, 1939-1945,  de Gérard Nédellec, aux éditions Cheminements)

 

A suivre,  pour un extrait de ce livre...

 

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