Voici le début de mon dernier livre "L'Ecole des Frères" paru voici un mois.

 

L'école St Blaise de Douarnenez sera témoin de mes premiers pas d'interne. Non seulement cette situation m'était jusqu'alors totalement inconnue, mais je ne pensais pas du tout endosser cet état, du moins à Douarnenez, où nous habitions.

Tout a commencé en avril 1950... J'avais suivi mes études à l'école St Blaise de la même ville, en tant qu'externe puisque je pouvais rentrer tous les soirs chez moi... à pied. Mon père était employé au Crédit Nantais, une banque qui se tenait et se tient toujours rue du Centre, à la différence près qu'elle a changé de nom voici quelques décennies pour s'appeler maintenant «  Crédit Industriel de l'Ouest ».

Comme je l'ai raconté dans un précédent livre*, mon père y exerçait depuis 1935, année de ma naissance. Il avait été un peu « oublié » et cet oubli était dû principalement à la guerre.

Mais soudain en ce début d'année 1950, une nouvelle effarante bouleversa notre petite famille : mon père était nommé gérant du bureau d'Audierne ! Oh ! Ce n'était pas un grand bureau puisqu'il ne comptait que deux employés, mon père et un autre, le chef et le sous-chef... Mais c'était un début. Je précise qu'au départ de mon père en 1964 pour Douarnenez, où il revenait mais comme directeur, le « petit » bureau d'Audierne comptait 5 ou 6 employés et était devenu le meilleur bureau de tout le CIO quant aux résultats financiers (Eh oui ! Une banque est faite pour gagner de l'argent, non ? Vous ne le saviez pas ?).

Pour vous aider à comprendre l'organisation du CIO, on trouvait, à cette époque (maintenant, cela a dû changer...) et suivant l'importance de la ville, des bureaux, des agences, des succursales, et le siège à Nantes. Audierne était un bureau, Douarnenez une agence, Quimper une succursale. Cela posé, il y avait des bureaux, agences ou succursales plus importants les uns que les autres.

Mais je m'éloigne de mon sujet... Pas tellement d'ailleurs car cette nouvelle promotion entraînait un déménagement. Nous allions quitter notre troisième étage de l'immeuble situé 13 rue Jean Jaurès à Douarnenez pour habiter 20 rue Victor Hugo à Audierne, les appartements se trouvant au dessus de la banque. Le bureau se tenait auparavant dans un petit local situé sur le quai. J'y avais accompagné quelquefois mon père venu rendre une visite professionnelle à son collègue, celui qu'il allait remplacer. Rue Victor Hugo, les locaux refaits à neuf offraient plus de place et de plus, il y avait un logement pour le directeur.

Mes parents avaient suffisamment d'amis à Douarnenez pour se passer de déménageur professionnel. Tous furent mis à contribution, ce qu'ils firent de bon coeur. C'est le camion d'un de nos grands amis, M. Heydon, marchand de charbon rue Berthelot, qui se chargea du transport. Je précise que le camion fut nettoyé avant d'y recevoir nos meubles... Tout fut effectué en une journée. Nous ne perdions pas au change, non que nous fussions mal logés rue Jean Jaurès, mais à Audierne nous avions plus d'espace. De plus, il y avait trois étages, rien qu'à nous... alors qu'à Douarnenez nous devions les partager avec les autres locataires, bien sûr !

Ce détail vous paraît certainement futile, insignifiant; pourtant je vous assure qu'il revêtait pour nous une grande importance. Nous pouvions monter et descendre les escaliers, en chantant si nous le voulions (et nous le voulions...) sans gêner personne. Si bien que les premiers jours de notre installation, nous ne rencontrions que... nous dans les escaliers. Peu à peu, la chose perdit de son intérêt et les escaliers retrouvèrent leur fonction première : le moyen le plus facile de passer d'un étage à l'autre...

Ce déménagement avait eu lieu pendant les vacances de Pâques. J'étais en 3è et devais passer le Brevet, le B.E.P.C., en juin. Ce sigle (ou cet acronyme suivant la façon dont on le prononce : B.E.P.C. ou « Bepce »...) signifie Brevet d'Etudes du Premier Cycle, et j'ajoute du Second Degré. C'était un examen important qui allait décider de ma future carrière secondaire. Son obtention me permettrait de poursuivre mes études en Seconde puis jusqu'au BAC. Je n'étais pas mauvais élève, sans me situer dans les meilleurs. Je naviguais toujours dans une bonne moyenne, celle qui ne vous donne pas les honneurs du classement, mais qui vous évite les « remontées de bretelles » au retour à la maison...

Le déménagement de mes parents posait une question cruciale : devais-je les accompagner et terminer l'année scolaire à l'école St Joseph d'Audierne, tenue par les frères de la même congrégation, ou valait-il mieux que je reste à St Blaise où j'avais mes habitudes ? Dans cette seconde hypothèse, je devenais interne...

Conseillé par les Frères, mon père choisit la solution la plus raisonnable. Il décida de me laisser à St Blaise pour ne pas me perturber par un changement de cadre, d'amis, de méthodes, de professeurs, avec le risque que ces bouleversements à répétition soient la cause d'un échec éventuel au Brevet... Sur le moment, je fus déçu à l'idée de me retrouver avec les autres internes, ceux dont je m'étais bêtement moqué durant les dernières années avec mes petits camarades externes et que nous appelions « les ploucs »... Ainsi, j'allais devenir moi aussi un plouc... D'ailleurs, n'avais-je jamais été autre chose qu'un plouc ? Lorsque, devant me présenter au Certificat d'Etudes Primaires, un an auparavant, je dus choisir entre l'étude du milieu marin et celle du monde agricole, j'optai pour ce dernier, seul externe dans ce cas de figure ! Je me retrouvai donc avec tous les fils de cultivateurs de ma classe à étudier le labourage et le pâturage, qui sont comme chacun sait, les deux mamelles de la France. J'étais déjà un plouc ! Alors... un peu plus, un peu moins...

 

(A suivre dans le livre ... et à plus...)

Retour à l'accueil