Voilà une autre question que l'on peut se poser... et voici une réponse... Ce texte est paru dans l'almanach du Normand 2006.

 

Ils n’étaient pas totalement absents puisqu’il ne faut pas oublier les 177 fusiliers marins du capitaine de corvette Philippe Kieffer. Mais enfin, 177 sur plus de 150 000 qui ont pris pied sur le sol de France le 6 juin… c’est peu. Alors pourquoi les Français n’ont-ils pas débarqué sur leur propre terre ?

C’est une longue histoire qui commence en juin 1940. Lorsque le général de Gaulle a rejoint l’Angleterre pour continuer le combat, Churchill espérait mieux qu’un simple général à deux étoiles, encore faut-il préciser à titre temporaire… Il s’en est accommodé. Roosevelt, moins… L'affaire de Saint-Pierre-et-Miquelon lui était vraisemblablement restée en travers de la gorge... Après le coup de force par lequel la France libre prit possession de ces îles situées tout près du Canada (en 1942), la méfiance que les Etats-Unis conçurent désormais à l'égard de de Gaulle et la rancoeur qu'ils lui gardèrent, influença  certainement leur attitude au cours des trois années qui suivirent, et peut-être davantage...

De Gaulle a tenu à incarner la France qui refusait la défaite, contrairement aux gouvernants de Vichy qui collaboraient avec l’ennemi. Pour lui, la vraie, la seule France, c’était la France libre dont il était le chef. Les Alliés l’ont accepté…toléré, faute de mieux. Mais lorsqu’ils ont pris pied en Afrique du Nord en novembre 1942, les Alliés, principalement les Américains ont accepté comme haut-commissaire en Afrique l’amiral Darlan, membre éminent du ministère Pétain. Darlan a été exécuté en décembre 1942.

Ignorant superbement de Gaulle, les Américains imposent le général Giraud, certes germanophobe mais partisan d’un "néo-vichisme". Le général de Gaulle va alors se battre de toutes des forces contre….ses alliés afin de se faire reconnaître comme le seul chef de la France libre. Il arrive à Alger en mai 1943. La "querelle des généraux" peut commencer…..

Roosevelt soutenait Giraud dont il connaissait pourtant les limites politiques car il voulait surtout faire obstacle à de Gaulle. Pour le président américain, ce dernier se prenait à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon….et avait tout du futur dictateur. Sa légitimité ne venait pas (encore !) des urnes. Ce qu’il ne pouvait comprendre, c’est qu’en France, pour des millions de Français sous le joug, de Gaulle représentait la résistance à l’oppression, la lutte et peut-être la victoire. De Gaulle était un symbole, un espoir, une raison de se battre.

Mais il est bien évident qu’il ne faisait aucun effort pour se faire bien voir, si l’on peut dire, de ses alliés. Il poursuivait son chemin tout droit, avec une seule idée : la légitimité et l’indépendance de la France. Il est non moins évident que les Américains voulaient faire de la France un protectorat américain, comme ils l’avaient fait en Afrique du Nord et en Italie. De Gaulle devra se battre pour éviter cela. Il réussira et c’est là qu’il se montrera le plus grand. Quand on pense que les Américains avaient sorti de prison les "vieilles gloires" de la IIIè République pour gouverner la France après la libération !…..

Puisque la France était occupée, de Gaulle créa à Alger une Assemblée consultative qui aida le Comité français de la libération nationale (CFLN) à légiférer. Mais les Forces françaises libres n’étaient pas très nombreuses : 35 000 fin 1942. Il fallait donc lever une armée française, qui ne pouvait être équipée qu’avec du matériel américain. Les anciens de l’armée d’Afrique précédemment au service de Vichy côtoyaient les Français libres qui se battaient depuis 1940. Il en résulta certaines frictions….que des entraînements intensifs puis le contact avec l’ennemi estompèrent.

C’est ainsi que furent créées des forces combattantes sous le commandement de grands chefs. Le général Juin, chef du corps expéditionnaire en Italie. Le général de Lattre de Tassigny chef de la 1ère armée française qui débarqua en Provence en août 1944. Le général Leclerc dont la célèbre 2è DB débarqua en Normandie une fois le débarquement réussi. Mais le 6 juin, exceptés les 177 commandos de Kieffer, aucune troupe française. Les Français ont été oubliés de l’opération Overlord, à moins qu’ils aient été sciemment mis à l’écart. Pourquoi ?….

La méfiance des Alliés envers de Gaulle constitue un élément de réponse. Les Américains prétendaient que les Forces françaises libres n’auraient pas manqué de "parler" si la date et le lieu du débarquement leur avait été donnés. C’était non le premier mais le plus important. L’entreprise était risquée, les chances d’échouer étaient au moins égales à celles de réussir. Un échec aurait été lourd de conséquences. Le secret avait été sérieusement gardé, on le comprend. La surprise constituait un élément de succès non négligeable. Mais les Français auraient-ils été si peu coopératifs….au risque de compromettre l’opération ?….

Les Américains ne voulaient pas dérouler le tapis rouge sous les pas de de Gaulle. Eisenhower obtint de Roosevelt que le général fut au moins avisé de la date exacte du jour J et présent à Londres. Un débarquement impliquait de nombreuses destructions et pertes civiles. Le général pourrait au moins expliquer leur nécessité à ses compatriotes…..

Mais quand de Gaulle eut connaissance de la façon dont la France serait traitée, il refusa d’accepter ce plan. Lorsque Eisenhower parla de la proclamation qu’il devait faire, demandant aux Français d’"obéir aux ordres", de Gaulle explosa. “ Vous, une proclamation au peuple français ? De quel droit ? ”….

On avait demandé aux chefs des gouvernements en exil de faire une proclamation à la radio, sans dire expressément qu’il s’agissait du vrai débarquement. Il fallait toujours faire croire aux Allemands que le débarquement de Normandie n’était qu’une diversion et que le véritable débarquement aurait lieu dans le Pas-de-Calais. Le but était de fixer la 15è Armée allemande loin des plages de débarquement le plus longtemps possible.

De Gaulle refusa et fit sa déclaration 8 heures plus tard. “ La bataille suprême est engagée ! Après tant de combats, de fureur, de douleurs, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu c’est la bataille de France, c’est la bataille de la France. ” Il recommandait à ses compatriotes de n’obéir qu’à des chefs français qualifiés. Fureur des Alliés….mais le succès du débarquement était en bonne voie. De Gaulle ne pourra mettre le pied sur le sol de sa patrie que 8 jours plus tard, le 14 juin. Et ce sera le discours de Bayeux…malgré l’interdiction des Alliés. Pouvait-on interdire quoi que ce soit à de Gaulle ?…..

“ L’accueil (des Normands) fut sans réticence et plein d’enthousiasme chaleureux et sympathique mais nullement délirant ” (François Coulet, qui l’accompagnait). Toujours est-il que de Gaulle avait marqué un essai….qu’il transformera plus tard  !

 

(à suivre... si vous voulez bien...)

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