Suite et fin de l'acte 1... L'acte 2 n'est pas encore écrit... Faut-il vraiment que je continue ?... De toutes façons, actuellement, je n'ai pas beaucoup de temps, occupé que je suis avec mes almanachs...

Cette scène est parue "en texte"... dans mon livre "L'Ecole de Monsieur Paul" sous le titre "Un savoir tout neuf"...

 

Scène 6

(la grand-mère entre, avec les deux autres enfants, Jacques et Victoire)

 

Le Père

Alors… Les poules ont pondu ?… Que nous ramènes-tu ?…

 

La grand-mère (en désignant les deux enfants)

Je n’ai trouvé que ces deux gros poussins-là !…

 

La Marie

Oh mais !… Attention !… v’là la mère qui se met à plaisanter maintenant !…

 

La grand-mère

Et alors ?… J’en ai bien le droit, moi aussi !

 

La Marie

Mais bien sûr !… Au contraire !… Plus on est de fous, plus on rit !… (s’adressant à ses enfants) Alors, qu’avez-vous appris de beau aujourd’hui à l’école ?

 

Victoire

As-tu une bouteille ?…

 

La Marie

Une bouteille ?… Tu as soif ?

 

Victoire

Non ! Une bouteille vide… enfin… une bouteille où il n’y a rien dedans.

 

La Marie

Une bouteille vide, quoi !

 

Victoire

Non… Enfin si !… Vide si tu veux…

 

La Marie

Elle est bien compliquée ton histoire !

 

Victoire

Mais ce n’est pas une histoire !… Donne-moi une bouteille dans laquelle il n’y a ni eau, ni lait, ni… rien !… Vous comprendrez après…

 

La Marie (cherchant un moment)

Tu veux une bouteille vide ! C’est bien ce que je dis !

 

Victoire

Oui… Une bouteille vide… puisque tu y tiens !

 

La Marie

Il fallait le dire tout de suite !… La voilà.

 

Victoire (elle la prend, la présente aux autres)

Qu’est-ce qu’il y a dans cette bouteille ?…

 

La Marie

Rien !… Elle est vide, tu l’as dit toi-même ! Tu te sens bien ?…Tu n’es pas malade ?…

 

Victoire (hausse les épaules)

Ai-je l’air malade ?

 

La Marie

Je ne sais pas, moi… Tu dis des choses bizarres ! Bref, je répète que cette bouteille est vide ! Voilà. Cela te convient-il ?…

 

Victoire (triomphante)

Ah oui !… Elle est vide. Eh bien… non !… Elle est pleine !…

 

Jacques (haussant les épaules d’un air supérieur)

Ma pauvre fille, tu dis n’importe quoi ! Pleine !... Chacun peut remarquer qu’elle est vide… totalement vide… intégralement vide…

 

Victoire (frémissante)

Et moi je te dis qu’elle est pleine !

 

Le Père

Voyons, Victoire, tu vois bien que la bouteille est vide !… C’est cela qu’on vous apprend à l’école ?… Eh bien !… De mon temps…

 

La Grand-mère (le coupant, avec jubilation)

De ton temps !… Tu vois, mon petit Firmin, il existe aussi, ton temps !… Tu es comme les autres ! Tu n’y peux rien ! En vieillissant, on ne peut s’empêcher de dire ces trois petits mots : de mon temps…

 

Le Père (bougon)

En tous cas, lorsque j’étais à l’école, on n’apprenait pas qu’une bouteille vide était pleine !

 

Victoire

J’ignore ce qu’on apprenait de ton temps, mais je t’affirme que cette bouteille est pleine ! Veux-tu parier ?…

 

Le Père

Montre-moi donc cette fameuse bouteille vide qui est pleine… (il la regarde attentivement) Ah ! Je n’y vois rien… Passe-moi mes lunettes. Les mauvaises…

 

La Marie

Tu veux tes mauvaises lunettes ?… Prends plutôt les bonnes !…

 

Le Père

Mais non ! Les bonnes me serrent le nez… Après j’ai des bleus.

 

Victoire

Tu as des bleus au nez ?…

 

Le Père

Oui, il devient tout rouge…

 

La Marie (elle lui donne ses lunettes puis,devant l’air ahuri de sa fille)

Ne cherche pas à comprendre… Pour ton père, un nez rouge est bleu… Quoi de plus normal ?…

 

Le Père (qui regardait la bouteille pendant ce temps)

Décidément… Je ne vois vraiment rien. Même pas une mouche prisonnière dedans… Cette bouteille est vide ! Je te parie tout ce que tu veux !

 

Victoire

Eh !… Attention ! Ne parie que ce que tu peux donner !…Tout ce que tu veux… c’est vague ! Disons plutôt…. un paquet de bonbons… par exemple ?…

 

Le Père (surpris)

Un paquet de bonbons ?… Que veux-tu que je fasse d’un paquet de bonbons ?…

 

Victoire

Mais il est pour moi… pas pour toi ! Je suis sûre de gagner !

 

Le Père

Eh bien ! D’accord !… Va pour un paquet de bonbons ! (à part) J’aurais préféré un paquet de tabac !… Alors ?… Que contient cette fameuse bouteille ?

 

Victoire (se rengorgeant)

Elle est pleine… d’air !

 

Jacques

Pleine d’air ?… Mais, ça ne compte pas, l’air !… C’est du vent, l’air !…

 

Victoire

Si ça ne compte pas, si l’air ne sert à rien, pourquoi gonfles-tu les roues de ta bicyclette ?… Roule donc sur les jantes !… Et dis-moi donc comment les avions tiennent en l’air ?… On dit bien "en l’air", non ?… Si l’air ne servait à rien, les avions tomberaient… De plus, sans air, tu serais mort !… Car tu respires bien de l’air, non ?… De quoi aurais-tu l’air… sans air ?…(elle s’arrêta, essoufflée….)

 

Le Père

C’est vrai, ça !… Je n’y avais pas pensé !… Mais l’air ne se voit pas ! Comment sais-tu que la bouteille en est pleine ?…

 

Victoire

Que veux-tu qu’il y ait d’autre dans la bouteille ?…

 

 

Le Père

Je ne sais pas… Rien !… Tout simplement rien ! Elle est vide, c’est tout.

 

Victoire (toute imbue de sa nouvelle science)

Mais ce n’est pas possible ! Le vide n’existe pas ! La nature a horreur du vide !…

 

Le Père (à sa femme)

Ma pauvre Marie, je capitule… Je crois bien que nous sommes dépassés !… Moi j’ai horreur des huîtres… la nature elle, a horreur du vide !… Elle n’aime pas le vide !… C’est son droit, n’est-ce pas ?… On a les horreurs qu’on peut !

 

Victoire

Tu vas encore tourner ce que je dis en dérision… C’est le maître qui nous l’a dit. Et puis, tu n’as jamais goûté les huîtres !…

 

Le Père

Justement !… Parce que je ne les aime pas ! Je ne vais tout de même pas manger un plat que je n’aime pas !…

 

Victoire

Tu m’as bien fait manger des poireaux que je n’aimais pas !…

 

Le Père

Eh bien, comme cela, tu as su que tu ne les aimais pas !….

 

Victoire

Mais c’est la même chose pour toi ! En mangeant des huîtres, tu aurais su si tu les aimais ou non !…Tant que tu n’y as pas goûté, tu ne peux pas dire que tu n’aimes pas quelque chose… C’est bien ce que tu m’as dit quand tu m'as forcé à manger des poireaux !… Ce qui est vrai pour moi, doit l’être aussi pour toi, n’est-ce pas mon petit papa ?

 

Le Père (agacé par la tournure de la conversation qui tourne à sa confusion)

Tu parles trop !… Tu commences à me… fatiguer !… Et puis d’abord, la nature… Est-ce qu’elle a goûté le vide ?… Tu peux me le dire ?…

 

Victoire

Mon Dieu !….Que c’est difficile d’avoir des parents de nos jours !…

 

Le Père (du tac au tac)

Pas plus difficile que d’avoir des enfants !…

 

La Marie

Vous n’avez pas bientôt fini de parler pour ne rien dire, vous deux ?… C’est vous qui ne manquez pas d’air !… (s’adressant à sa fille) Alors ton instituteur vous a dit qu’une bouteille vide… est pleine d’air ! Pas la peine d’aller à l’école pour savoir cela !

 

Victoire

Mais vous ne le saviez même pas !

 

 

Le père

On savait… mais on ne s’en souvenait plus ! Puisque l’air nous entoure, qu’il occupe tous les endroits, pourquoi n’irait-il pas se cacher dans une bouteille… vide ?…

 

Victoire

Oui… Comme d’habitude, vous les parents, ne voulez pas avouer que vous ignorez quelque chose. Tiens !… C’est comme l’autre jour où je vous ai dit que nous avions appris tout sur les squales. Papa m’a affirmé qu’il les connaissait bien… Il s’est mis à me parler des squaws. Mais les squaws sont les femmes des Indiens… tandis que les squales sont des poissons, comme le requin !… Rien à voir !… Il n’y a aucun déshonneur à avouer que l’on ne connaît pas tout !….

 

Le père

Tout le monde peut se tromper !…

 

Victoire

Peut-être… Encore faut-il le reconnaître ! .En attendant, donne-moi le paquet de bonbons que j’ai gagné !

 

Le Père

Une minute… Il vous a appris autre chose, l’instituteur ?…

 

Victoire

Il nous a demandé qui avait inventé la poudre. Je ne le savais pas.

 

Le Père

Je ne sais pas moi non plus. Tout ce que je sais, c’est que ce n’est pas moi !…

 

Victoire

C’est bien ce que j’ai répondu à l’instituteur… Je lui ai dit : en tous cas, ce n'est pas mon père ! Il a ajouté : je m’en doutais !…

 

Le Père

Mais il sait tout cet homme-là !… Bon. Et…. qui a inventé la poudre ?

 

Victoire

Les Chinois je crois….

 

Le père

Les Chinois !… Voyez-vous cela… Je pensais qu’ils n’étaient bons qu’à manger du riz avec des baguettes… leur poudre… C’était pour assaisonner leur riz… J’y suis ! C’était de la poudre de riz !… Voilà ! C’est aussi simple que cela ! Tu vois que ton père sait des choses… quand même !

 

Victoire

Là, je ne sais pas. Je demanderai à l’instituteur.

 

Le père

Mais oui, demande… Tu as donc gagné un paquet de bonbons. Je te le donnerai demain, car je n’en ai pas sous la main. Quand même… Une bouteille vide… pleine d’air ! Elle est bonne celle-là ! Je la replacerai !

 

 

La Marie

Tout le monde est là, on peut commencer à manger. Ce n’est pas du riz !…

(La famille s’installe autour de la table tandis que tombe le rideau.)

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