Voici une belle histoire dont j'ai emprunté je sujet à André Castelot et que je m'en vais vous narrer à ma façon. J'ajoute qu'elle est véridique. Et tant pis si je vous l'ai déjà contée  : j'ai écrit tellement de textes depuis huit ans que mon blog existe... que je m'y perds. Pourtant, j'ai dressé des listes... Alors, soyez gentils : dites-le moi...

 

"Dis Grand-mère"… Car dans cette histoire vraie, c’est la grand-mère qui raconte.

Nous sommes sous le second Empire, dans un château de l’est de la France. Confortablement assise dans un fauteuil Louis XV, une vieille femme couverte de châles est plongée dans ses souvenirs. Devant elle, assis en tailleur sur un épais tapis persan, un petit garçon aux cheveux noirs bouclés, la regarde. Il s’appelle Théodore Gosselin.

-  “  Dis Grand-mère, raconte-moi une belle histoire…

-  Il était une fois… (toutes les histoires commencent ainsi, non  ?) un jeune officier du génie qui se trouvait en garnison à Morlaix en Bretagne. Nous étions alors en 1814 à la fin de l’Empire. Le roi Louis XVIII était rentré à Paris. La municipalité de Morlaix offrit donc un bal en l’honneur du retour des Bourbons sur le trône de France. Le jeune officier participait à ce bal, bien sûr. Peu de jours auparavant, il avait aperçu à l'église, alors qu’il assistait à la messe, une adorable jeune fille. Peut-être la reverrai-je ici  ?… se dit-il en regardant partout. Soudain, il la vit, encore plus belle, timide et sage comme on l’était alors… Le cœur du bel officier (car il ne pouvait qu’être beau) battit un peu plus fort. Il apprit qu’elle s’appelait Félicité Le Tendre. Félicité… C’est lui qui en était rempli, de félicité… Mais, comment l’aborder  ?

La grand-mère s’arrêta un peu. Face à elle, l’enfant ne perdait aucune parole, aucun détail de l’histoire. Elle continua.

-  Oui, comment l’aborder, car ils n’avaient pas été présentés, et à cette époque, un jeune homme ne pouvait adresser la parole à une jeune fille que s’il avait été présenté  : c’était l’usage…

-  Moi, coupa l’enfant, j’aurais été vers elle, et je lui aurais dit…

-  Que lui aurais-tu dit  ? Dans ces cas-là, on ne sait pas trop quoi faire. Le jeune officier était donc perplexe. Or il arriva qu’un petit ruban blanc que la jeune Félicité avait dans les cheveux tomba sur le parquet.

-  Je sais, coupa une nouvelle fois l’enfant  : le bel officier est allé le rendre à la jeune fille. Et alors…

-  Et alors rien, car la jeune fille s’en était allée avec ses parents. Le jeune homme ramassa le ruban blanc et le serra sous la tunique de son uniforme.

-  Mais alors, il ne s’est rien passé  ? Elle n’est pas drôle ton histoire  ! bougonna l’enfant.

-  Mais qui t’a dit qu’elle était terminée  ? Ne sois pas impatient  !

Quelques mois passèrent. En mars 1815, Napoléon s’échappait de l’île d’Elbe où on l’avait enfermé. Le 20 il était à Paris. Le roi Louis XVIII s’était enfui à Gand en Belgique. L’Empire était restauré. L’armée retrouvait le drapeau tricolore à la place du drapeau blanc des Bourbons.

Une moue de déception put se lire sur le visage de l’enfant. Mais le sourire engageant de la grand-mère lui indiqua que des rebondissements étaient prévisibles. Il attendit donc la suite.

-  Le corps dont faisait partie l’officier était parti dans le Sud-Est. Il prit donc la route pour le rejoindre. Mais il lui fallait traverser des régions peu sûres, comme la Vendée qui, dès le retour de Napoléon, s’était insurgée, comme aux plus beaux jours de 1793. Ce qui devait arriver arriva. Notre homme fut arrêté, reconnu comme un officier de Bonaparte, un Bleu comme on disait alors. Dans ces cas-là, on ne se posait pas de questions. On fusillait les ennemis. Pas de tribunal, pas de jugement, la mort.

L’enfant frémit. La belle histoire allait-elle s’arrêter là  ? La grand-mère s’était arrêtée. Elle continua d’une voix sourde.

-  Oui, la mort semblait promise au bel officier si jeune et qui ne demandait qu’à vivre. Pensa-t-il alors à la belle jeune fille rencontrée dans un bal à Morlaix  ? Machinalement sa main se porta dans sa tunique où il gardait toujours précieusement le ruban blanc ramassé sur le parquet du bal. Les vendéens crurent qu’il allait sortir une arme. Ils le fouillèrent et trouvèrent le fameux ruban. Un ruban blanc, la couleur du roi  !

-  Il avait donc gardé le ruban pendant tout ce temps  ?

-  Bien sûr  ! Ce ruban lui rappelait celle qu’au fond de lui il aimait  ! Mais il ne pensait pas qu’il lui sauverait la vie un jour  ! Donc nos Vendéens furent surpris de trouver un tel signe sur un officier de l’empereur. Mais alors, se dirent-ils, c’est qu’il est royaliste comme nous  ! Il ne garderait pas un ruban blanc si ce n’était pas le cas  !

Et la grand-mère ajouta avec un clin d’œil malicieux  :

-  Comment auraient-ils pu connaître la vraie raison de la présence de ce ruban dans la tunique de l’officier  ? Bref, on le relâcha avec des excuses. Notre homme n’en demandait pas tant. Il continua donc sa route et put rejoindre son corps. Mais l’Histoire, la grande, était en marche. Napoléon avait rendez-vous avec elle à Waterloo le 18 juin. On connaît la suite. Vaincu, l’ex-empereur fut envoyé dans une île d’où il ne risquait pas de s’échapper  : Sainte-Hélène. Et notre bon roi Louis revint de Belgique, sous les vivats des Parisiens qui criaient avec humour:  Vive notre père de Gand  !……

-  Elle est bonne, celle-là  ! crut bon d’ajouter l’enfant.

-  Et véridique  ! Comme tout ce que je te raconte  ! Bien. Continuons donc, car le meilleur reste à venir. L’officier retrouva Félicité Le Tendre. Il lui raconta de quelle façon miraculeuse il a été sauvé par son amour. Bien sûr, ils se marièrent et eurent comme on dit beaucoup d’enfants. Voilà mon histoire. Elle est belle, n’est-ce pas  ?

-  Elle est jolie. Mais, je ne connais pas ces gens-là  ! L’histoire aurait été plus intéressante s’ils avaient été de notre famille….

-  Eh bien mon enfant, continua la grand-mère avec beaucoup d’émotion dans la voix, sois rassuré  : ils étaient de notre famille, et tu les connais. La jeune fille, Félicité, c’était moi, ta grand-mère, et le bel officier, c’était ton grand-père...

L’enfant resta un moment sans voix. Cette histoire ouvrit en lui des horizons qu’il ne soupçonnait pas encore. Devenu grand, il prendra le nom de G. Lenotre et écrira beaucoup de livres sur ce qu’on appelle parfois dédaigneusement la petite histoire, sans penser qu’elle contribue largement à écrire la grande…

 

 

 

 

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